“Personne ne doit pénétrer avec des armes dans l'enceinte des tribunaux”, ont-ils plaidé. Cette demande est du reste justifiée dans la mesure où l'incident de Béjaïa est le second du genre. Confondus par certains politiques, stigmatisés par d'autres, appréhendés, craints ou redoutés, les magistrats tentent de se défaire de ce fâcheux cliché qui leur colle à la peau comme une guigne et qui fait d'eux les serviteurs des puissants du moment. Autant que faire se peut, eux qui sont chargés de rendre la justice, ils essayent de faire valoir leurs droits et revendiquent leur “indépendance”. Mais souvent, ces professions de foi ont échoué jusque-là sur les récifs du scepticisme. Lors de la réunion du conseil national du syndicat des magistrats, tenue jeudi à El-Biar, les magistrats ont unanimement demandé à ce que leur sécurité soit renforcée après l'incident dont a été victime le procureur général adjoint de la cour de Béjaïa lorsqu'un policier, non content de la condamnation de son frère, a usé de son arme pour prendre le représentant de la chancellerie en otage. “Il faut renforcer la sécurité des magistrats, personne ne doit pénétrer avec des armes dans l'enceinte des tribunaux”, ont-ils plaidé. Cette demande est du reste justifiée dans la mesure où, comme l'a rappelé Djamel Aïdouni, président du SNM, c'est la seconde fois qu'un tel incident se produit dans les tribunaux. Autre travers évoqué par les magistrats et qui, à leurs yeux, porte atteinte à leur dignité : les pratiques de certains inspecteurs de la chancellerie. “Certains agissent comme des policiers”, a pesté l'un des juges. “Au lieu de renforcer la justice, ils cherchent la petite bête”, a renchéri un autre. Face à ces plaintes, Djamel Aïdouni, arrivé à la tête du SNM après un congrès controversé en 2004 qui avait vu la mise à l'écart de l'ex-président Hameur Al-Aïn, un magistrat réputé proche de l'ex-candidat à la présidentielle, Ali Benflis, tempère les ardeurs : “Que celui qui a des remarques sur les inspecteurs fasse un rapport !” En tout cas, tous ont convenu qu'il faut désormais définir les critères de désignation de ces inspecteurs. Comme dans bien d'autres corps, les magistrats se plaignent de ce que les stages à l'étranger ne profitent qu'à certains et se demandent sur quels critères sont désignés les heureux bénéficiaires. “La formation doit profiter à tous les magistrats, sans exception”, ont-ils recommandé. Histoire de “faire l'équité”, on a suggéré d'introduire un examen de sélection. Un juge s'étonne même que certains magistrats fassent des stages aux USA, tandis que d'autres en font en France ou en Belgique alors que les systèmes judiciaires de ces pays sont différents. C'est pourquoi la spécialisation s'avère nécessaire et qu'un magistrat formé dans un domaine doit y travailler. Brocardée par beaucoup, la détention préventive, jugée trop longue dans bien des cas, a été également évoquée. De l'avis de certains, cette détention est “abusive”. Mais, se défend un juge, “jamais un individu que j'ai mis sous mandat de dépôt a été libéré une fois jugé”, histoire de suggérer que souvent il s'agit de neutraliser des individus “dangereux”. Selon Djamel Aïdouni, cette détention ne dépasse pas les 11%, un chiffre qu'il tient de la direction de l'administration pénitentiaire. À ceux qui accusent les magistrats de tordre parfois le cou aux droits de l'Homme, le président du SNM répond : “Celui qui a des preuves matérielles qu'on viole les droits de l'Homme, qu'il les présente !” Membre extraordinaire de l'Union internationale des magistrats (UIM), sans disposer toutefois du droit de vote — certains pays, comme le Royaume-Uni ont émis des réserves à l'égard de l'Algérie —, le SNM s'apprête à organiser, le 21 juin prochain, à Alger, une réunion du groupe africain de l'UIM. Même s'il n'a pas encore été arrêté, le choix du thème appelé à être discuté lors de cette réunion a donné lieu, lors du conseil, à un chapelet de propositions. Entre la corruption, la médiation, les spécificités de la société africaine, le jugement équitable des actes terroristes ou encore la communication et les relations entre les magistrats et la presse, la décision n'a pas été tranchée. Autre point sur lequel se sont penchés les magistrats, l'avant-projet de création de l'Union maghrébine des magistrats. Proposé par les Marocains, cet avant-projet a suscité quelques réserves. Sur un autre plan, on a convenu que l'assemblée générale du SNM aura lieu après l'élection présidentielle et la réunion du groupe africain, mais la date n'a pas été encore arrêtée. Un juge a proposé, dans ce contexte, à ce que le SNM se transforme en association en raison de la connotation parfois “péjorative”, à ses yeux, que comporte l'attribut syndicat. Dans les recommandations finales, les magistrats ont tenu, cependant, à “saluer les efforts des autorités pour renforcer l'indépendance de la justice”. Karim Kebir