Les ministres et députés de la majorité semblaient très à l'aise pour parler de la réconciliation nationale en cette journée parlementaire qui lui était consacrée hier. Pour Ziari, président de l'APN, “la réconciliation est une réalité palpable”. Pas pour les villages de la wilaya de Boumerdès, malheureusement. Pour Louh, ministre du Travail, “la réconciliation a atteint ses objectifs”. Pas vraiment si l'on en juge par les barricades et les effectifs policiers qui veillent sur la sécurité de l'Assemblée nationale, hôte de la réunion. En tout cas, pas assez pour satisfaire la demande, faite sur place par Soltani, autre ministre de la coalition, de levée de l'état d'urgence. Mais c'est la fonction de la langue de bois de démentir la réalité. L'argent fait ce qu'il peut pour la changer. Ould Abbas, ministre du budget politique, tente de nous expliquer que la paix et la réconciliation se mesurent aux sommes distribuées aux terroristes et à leurs ayants droit. En un mot, envers et contre toute évidence, nous devons accepter le postulat que l'impunité et la prime à la capacité de nuisance paient. Il reste à percer le mystère de l'opportunité de cette journée consacrée à une question finalement résolue, si l'on en croit le discours et les montants servis. Il aurait peut-être été plus avisé de consacrer les débats à la question des harragas, dont un ministre vient de déclarer qu'elle “nous dépasse”. Au lieu de cela, elle a été à peine évoquée par le Premier ministre, “en marge” de cette journée parlementaire. Ouyahia déclare, à ce sujet, que “la société a été gravement secouée”, que le phénomène constitue “un coup profond, là où l'on se sent responsable et citoyen” et que, surtout, “ce n'est pas une question de milliards de dinars, de programmes et de mesures”. Voilà donc un problème qui ne correspond pas aux schémas habituels : quand on ne peut pas prévenir la catastrophe, on indemnise. Cela suffit pour être quitte avec ses responsabilités. Tout en signalant la gravité d'un phénomène qui “n'est pas conjoncturel” mais qui, au contraire, “touche la société algérienne dans ses valeurs”, le Premier ministre estime qu'il se pose en termes de “donner à ces jeunes une lueur d'espoir et une raison de croire en leur pays”. C'est presque un aveu du pouvoir de n'avoir pas pu conjurer la déception de la jeunesse qui, au demeurant, n'a pas attendu la harga pour se manifester. Il fallait à ce point désespérer pour perdre foi en son pays, prendre la mer dans une embarcation de fortune et détruire ses papiers d'identité en abordant des rivages pourtant si peu accueillants. Le propos du Premier ministre résume le contraste entre la profondeur de la crise de confiance et l'incapacité du pouvoir à lui apporter quelque solution. Il exprime aussi la gêne d'un régime devant le scandale de la débandade d'une jeunesse maintenant prête à tout, sauf à supporter plus longtemps la condition qui lui est imposée. Même s'il n'est évoqué qu'en marge de la question sacrée de la réconciliation, voilà un symptôme de crise si difficile à étouffer et tellement parlant qu'à lui seul il vaut bilan. M. H.