Au moment où le ministère de l'Intérieur envisage de créer une unité spécialisée dans la lutte contre les enlèvements, les kidnappings ont soudainement régressé en Kabylie et Boumerdès, régions réputées être le fief du GSPC. Les principaux réseaux terroristes, investis dans les rapts, ont été, en effet, selon une source sécuritaire, démantelés à Boumerdès. Un durcissement du maillage sécuritaire à Tizi Ouzou s'est soldé également par une baisse conséquente du taux de criminalité, la neutralisation de pas moins de cinq réseaux de soutien au terrorisme en six mois et la mise hors d'état de nuire de plusieurs candidats à l'acte kamikaze. Il demeure, toutefois, deux axes dangereux, Dellys et Mezghenna, devenus des zones d'intenses recrutements de terroristes. Les spécialistes de la question avancent que le GSPC recrute, en ce moment, essentiellement dans le milieu familial de ses éléments. C'est justement pour cette raison que ces spécialistes recommandent aux politiques de prendre en charge financièrement les familles des terroristes et d'exercer sur elles un contrôle permanent. L'organisation terroriste renforce également ses rangs par le biais des terroristes élargis des établissements pénitentiaires. Pendant leur incarcération, ces derniers ne sont jamais tout à fait coupés du milieu terroriste. Ils sont régulièrement en contact avec les prisonniers condamnés pour les mêmes chefs d'inculpation et restent en liaison avec les groupes armés qui assistent leurs familles financièrement. Pendant leur incarcération, ils ne “chôment” pas. Bien au contraire, ils constituent une source inépuisable d'enrôlement de dealers et autres délinquants. Pour certaines opérations, le GSPC s'allie aux trafiquants de sable, de drogue et autres bandes de gangs, ne trouvant plus de soutien efficace au sein de la population. Néanmoins, un haut responsable estime que la situation sécuritaire à Boumerdès notamment s'est nettement améliorée. “Nous entrons actuellement en phase du terrorisme résiduel dont parle Ahmed Ouyahia depuis des années”, commente-t-il. À Tizi Ouzou, une régression de la criminalité, en général, est enregistrée dès l'amorce du deuxième semestre 2008 grâce à la neutralisation de trois réseaux d'association de malfaiteurs composés de 26 personnes activant dans des lieux isolés et spécialisés dans les faux barrages, vols et trafic de véhicules. Dans cette wilaya, les services de sécurité préfèrent parler et agir dans le cadre de la grande criminalité, partant du fait qu'entre le trafiquant de sable, le terroriste et le propriétaire de la mahchacha en pleine forêt, que ce dernier protège, il y a un dénominateur commun : l'argent. La relative accalmie est due à une intensification des ratissages dans le maquis renforcée par un durcissement du dispositif sécuritaire en zone urbaine. Les services de sécurité multiplient les points de contrôle et barrages équipés d'un matériel de détection d'explosifs, rendant le mouvement “des criminels très difficile”. Le nouveau dispositif sécuritaire se caractérise, en outre, par la mise en place d'une brigade d'investigation et de recherches composée d'une cinquantaine de personnes dotées de moyens techniques et logistiques très importants. Durant cette année-là, la couverture sécuritaire a été revue également à la hausse pour atteindre les 98%, avec l'inauguration de la sûreté de daïra de Tablat, des Ouacifs et de Fréha, carrefour de trafic en tous genres. Au total, 28 daïras ont été dotées d'une structure de police au terme de l'année 2008. Pour 2009, il est envisagé la mise en place des sûretés de daïra de Makouda, Béni-Yenni et l'inauguration d'une dizaine de sûretés urbaines, dont une à Timizart, une à Aït Yahia Moussa, Aïn Zaouïa, Tirmitine et une autre à Boukhalfa, dans l'objectif d'atteindre une couverture sécuritaire de l'ordre de 100% en Kabylie. Ces structures de proximité devraient faciliter la traque de la petite délinquance, empêcher de nouveaux recrutements aux groupes terroristes et établir un rapprochement entre la police et la population. Les hauts responsables en charge de la sécurité dans la région refusent toutefois de verser dans l'optimisme béat. “Si la grande criminalité est en régression, elle n'est pas morte, mais se métamorphose. Elle s'adapte aux méthodes de répression, appelées également à se renouveler par le biais d'une formation continue.” Plus que jamais, un lien est établi entre terroristes et bandits. Mais, bien des fois, des groupes de gang dressent de faux barrages pour racketter les automobilistes et mènent des opérations d'enlèvement en copiant le mode d'emploi des terroristes. Plusieurs bandes encagoulées qui s'adonnaient à ce genre d'activités ont été neutralisées, aussi bien à Tizi Ouzou qu'à Boumerdès. L'identification des puces de téléphone porte les fruits escomptés Quant à la baisse des opérations de kidnapping, elle s'explique, bien entendu, par l'offensive des services de sécurité, mais aussi par les opérations d'identification des puces, bouclées récemment. En reprenant le contrôle sur le marché de la téléphonie mobile, l'Etat a fait perdre aux terroristes l'un de leurs outils de communication les plus importants qui est le téléphone portable muni, opérationnel grâce à la puce anonyme, en vente libre jusqu'alors. À Boumerdès, des kidnappeurs ont été récemment arrêtés, quelques heures seulement après avoir fait part de leur prétention à une rançon, grâce à l'identification du détenteur de la puce. En plus d'être un moyen de communication majeur, les puces anonymes constituaient des pièces maîtresses dans la fabrication des bombes. Plus de 95% des attentats à la bombe, menés ces trois dernières années, ont été exécutés par le biais d'un téléphone portable. Dans toutes les salles d'attente des commissariats de la région, une affiche portant les photos d'une quarantaine de terroristes jugés très dangereux et activement recherchés est placardée au mur. Les services de sécurité espèrent que l'un d'eux sera reconnu par un citoyen qui pourrait leur fournir des renseignements sur lui. Eprouvés par une vague de redditions en un laps de temps très court et acculés par la neutralisation de six réseaux de soutien à Tadmaït, Draâ Ben-Khedda et Fréha notamment, les chefs du GSPC se trouvent aujourd'hui dans l'obligation de sortir pour s'approvisionner en denrées alimentaires et pour établir des contacts. Parfois, ils s'aventurent même en ville, comme ce fut le cas pour l'“émir” Bentitraoui de katibat El-Feth, abattu la semaine dernière en plein centre-ville de Boumerdès, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre son acolyte dans une rôtisserie. L'élimination de ce dangereux terroriste intervient quelques jours seulement après la reddition de l'“émir” de katibat El-Ansar. Les exploits de la Brigade de recherches et d'investigation Même si la Brigade de recherches et d'investigation (BRI) – la nouvelle équipe qui a remplacé l'ONRB – a, à son actif, plusieurs exploits, elle se heurte à la nouvelle stratégie du GSPC qui consiste à ne fournir des informations aux éléments constituant le dernier maillon de la chaîne que dans la limite des besoins de leurs tâches et missions. Ce sont les agents recruteurs et endoctrineurs qui servent d'intermédiaires entre les “émirs” et les exécutants. Ils ont aussi pour rôle de les payer, de leur trouver les caches, de leur donner les schémas d'attaque et de désigner les cibles, avant de disparaître dans la nature. Le gel ou la mise sous surveillance des comptes bancaires de la famille de l'otage peut, selon nos sources, régler en partie seulement le problème des kidnappings, car ils estiment que la plus grande partie des richesses des commerçants et autres gros investisseurs circulent en dehors des circuits bancaires. “C'est le règne de la chkara (sachet en plastique).” Cela, sans oublier la possibilité de l'emprunt auprès des amis et sur la solidarité familiale. En plus de la promptitude des familles des otages à payer la rançon, les opérations de kidnapping ont été très fréquentes en 2007 particulièrement, parce que c'est à Tizi Ouzou et à Boumerdès, autrement dit la zone II, que se trouve le commandement du GSPC. Ce choix géographique illustre le souci des chefs de ce groupe armé de profiter directement des rançons pour assurer un avenir financier. Nos sources font remarquer que cette période de rançonnement a été suivie par une série de redditions de “hauts responsables du GSPC”. Parmi eux, le “cerveau” de plusieurs affaires d'enlèvement dans la région. Selon ces sources, le nerf de la guerre contre le terrorisme demeure le citoyen qu'il faut sensibiliser et rallier à cette cause. Dans ce sens, elles pensent que la famille, l'école et l'institution religieuse ont un grand rôle à jouer. N. H.