Maître Ksentini se félicite de constater que les “hommes de culte” ne soient opposés à l'abolition de la peine de mort que pour ce qui concerne les crimes de sang. Le chargé officiel des droits de l'Homme se contenterait bien de ce mariage de raison entre l'abolitionnisme humaniste et la loi du talion, entre le positivisme juridique et le droit religieux. Mais quelle mouche l'a piqué d'aller lancer un débat sur l'abolition pour faire profil bas, et inventer la semi-abolition aux premiers froncements de sourcils d'imams qui tiennent au “œil pour œil et dent pour dent” quand il s'agit de droit commun ? Si nos religieux étaient vraiment adeptes de la loi du talion, ils se seraient élevés contre l'immunité des terroristes décrétée au moyen profane d'un référendum. Aucun homme de foi établi n'a trouvé à redire au sujet d'un cas d'atteinte à la sainte loi du talion, la charia. À moins qu'il faille considérer que leur exécution se justifiait et qu'effectivement, les terroristes ont fait œuvre pieuse en exécutant deux cent mille Algériens, dont beaucoup de nourrissons. Le sacrifice d'Abraham est là pour constituer l'ultime objection à l'immolation d'enfants. Mais contre les terroristes, son message a cédé : ils ne paieront même pas le prix de leurs infanticides. Il ne faut surtout pas se lasser de méditer la forfaiture morale dont nous nous sommes rendus coupables, qu'elle fut au nom de la réconciliation ou autre. Etrange ! Ceux qui se soulèvent, au nom de la religion, contre la commutation de la peine capitale, parce qu'elle est châtiment divin, s'accommodent de l'entière immunité de tueurs en série, au nom de la “rahma” de la société et d'une finalité réconciliatrice ! Cette entorse aux commandements sacrés a été prescrite par référendum ! Les procédures démocratiques sont convoquées pour légitimer l'atteinte à la loi du talion, de sorte que les terroristes islamistes échappent non seulement aux sanctions prévues par le droit en cours, mais aussi à celles dictées par la charia. Bien sûr que l'abolition ne peut pas être, dans l'Algérie d'aujourd'hui, un thème de débat. Au demeurant, de débat, il ne peut y en avoir dans un pays converti à la culture de l'anathème et de la vindicte. L'alliance du dispositif coercitif et de la terreur intégriste, illustrée par les récents procès en apostasie et par des verdicts inquisitoires sans rapport avec la loi, a soumis le droit positif à la pression de l'ambiance inquisitoire. Tout ce qui peut aider à mater la société est le bienvenu. Dans un tel système de connivence entre le format républicain et le substrat islamiste de l'Etat, il est dérisoire d'invoquer quelque progrès judiciaire au nom d'une valeur humaine. Nous faisons partie d'un mouvement idéologique avant de faire partie de l'humanité : nous avons quitté le vaisseau du progrès humain pour embarquer dans celui de la régression fondamentaliste. Le président de la CNDPPH le sait certainement et, pour nous faire oublier le choix historiquement suicidaire, il s'adonne, lui comme d'autres, de temps en temps à cette gymnastique qui consiste à faire croire qu'on peut servir les droits de l'Homme dans un pays où la mosquée fait la campagne électorale. M. H.