Dans ce cercle fermé où se déroulent les activités de pêche et de vente du poisson, le consommateur ne pourra éventuellement voir un jour les prix stabilisés et structurés, selon des normes qui tiennent compte des coûts réels de revient et d'autres règles standard, que si un minimum de facteurs sont mis en œuvre et de façon sérieuse. La multiplication des halles à marée en est un, s'accordent à dire bon nombre de spécialistes de la question, que nous avons pu rencontrer. Rappelons que la halle à marée est un bâtiment installé sur les quais d'un port de pêche, où le poisson est débarqué et trié selon des normes précises et présenté à la vente. La méthode de vente la plus répandue est celle des enchères publiques à la voix : le poisson est vendu par caisse ou par lot de caisses. Il en existe quelques-unes en Algérie, mais elles sont loin d'être organisées. Celle d'Alger, par exemple, fonctionne selon la méthode du bouche à oreille, ce qui donne naturellement lieu à un boursicotage en règle, c'est-à-dire de petites opérations spéculatives qui échappent à toute transparence. Pour la Chambre nationale de la pêche, l'organisation d'un maximum de halles à marée dans toute l'Algérie est plus qu'un simple souhait. “Cela va mettre un frein à la spéculation, en effet, du moment qu'avec la facture en amont, le produit livré au consommateur sera identifié”, nous dit M. Rahmani, directeur général de cette institution créée en 2003 pour coordonner la profession. Avant d'ajouter : “Nous souhaiterions aussi prendre en charge la gestion de toutes ces halles à marée, afin que la Chambre nationale de la pêche puisse faire respecter la traçabilité du produit, et non pas uniquement pour de simples questions d'argent.” En attendant le déploiement, prévu sur plusieurs années, du schéma directeur adopté par le gouvernement et l'installation de halles à marée modernes dans tous les ports de pêche, la vente demeure pour l'instant encore déréglée. Il n'existe pas, en fait, de circuits de gros en amont de la commercialisation des produits de la pêche, présents sur l'ensemble du littoral algérien et de façon systématique dans les ports concernés ; et si ces circuits peuvent exister, les règles de commercialisation ne sont pas préalablement fixées, nous précise-t-on au ministère de la Pêche où l'on tient à spécifier que la mission du ministère s'arrête une fois le produit rendu au quai. En somme, c'est toujours le mandataire qui “régule” le circuit en amont en s'arrangeant de gré à gré avec le pêcheur. Par la suite, un ou plusieurs intermédiaires vont parfois intervenir avant que le poisson arrive à destination. L'élevage du poisson Le développement de l'aquaculture, comme alternative à la pêche côtière, est un second facteur important susceptible de suppléer notamment au tarissement avéré des réserves en produits de la mer, et par ailleurs de stabiliser un tant soit peu leurs coûts. C'est la rareté de ces produits qui les place déjà parmi les produits chers de consommation, plutôt de luxe que courante, en dehors du fait qu'il y a aussi une pression sur le poisson algérien qui serait très demandé hors de nos frontières, en particulier le poisson haut de gamme par rapport à ses qualités gustatives. Et les explications fournies à ce propos au niveau officiel le plus concerné du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques, coïncident logiquement avec l'autre argument de l'exportation en assez grandes quantités du produit. L'élevage du poisson, ou aquaculture, devrait par conséquent contribuer à amener la consommation actuelle à un niveau acceptable et au moins équivalent à celui recommandé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir 6,2 kilogrammes par habitant et par an. D'ici à la fin du plan quinquennal 2009/2014, l'aquaculture en Algérie devrait atteindre une production de 32 000 t/an, et 53 000 t /an dans quinze années, selon les prévisions officielles, alors qu'elle était à peine de 300 t /an en 2000 (et 3 000 t /an à l'heure actuelle). Un grand effort paraît être orienté en ce sens à tous les niveaux officiels concernés, et l'on se prépare au déploiement d'une stratégie de vulgarisation en direction d'une plus grande consommation du poisson d'eau douce. L'on peut citer quelques projets du littoral (subventionnés à 50% par l'Etat) déjà en production ou en voie de réalisation : élevage de moules et d'huîtres à Aïn Taya, Alger-Plage, Aïn Tagouraït, élevage de loup de mer et de dorade à Azzefoun à trois cents mètres du rivage (1 200 t en commercialisation), à Aïn Témouchent, ferme marine dans le cadre de la coopération algéro-espagnole à Bou Ismaïl, d'autres projets dans le Sud (ceux-ci étant subventionnés à 80% par l'Etat) comme à Ouargla, Ghardaïa, etc. Beaucoup de sites favorables à l'aquaculture ont été identifiés par les experts. Ils sont situés dans la frange littorale par rapport aux barrages et retenues collinaires, aux oueds, embouchures d'oueds, lagunes et zones lagunaires, par rapport aussi aux chotts et sebkhas, chaque site développant le type d'activité qui lui est propre : développement du poisson d'eau douce, élevage du thon, pisciculture marine, pisciculture d'eau douce (carpe et truite notamment), élevage des crustacés et des crevettes, etc. En tout, 450 sites à implanter d'ici 2025 à travers l'ensemble du territoire national, selon des chiffres officiels. Rumeurs et hypothèses En attendant, les supputations et autres hypothèses sur l'envolée des prix et surtout la rareté du poisson vont bon train. Pour beaucoup, le poisson serait détourné du marché local et certains professionnels de la pêche évoquent l'émergence d'une classe d'arrivistes transformés en intermédiaires pour régenter le marché des produits de la mer. Entre autres, dans ces mêmes milieux, on hésite à peine en reprenant cette rumeur persistante qui fait dire également que la vente du produit de la pêche par ces intermédiaires va directement à des chalutiers étrangers qui croisent dans les eaux internationales. D'autres estiment que la rareté du poisson serait due à la pêche à la dynamite, déjà à l'origine de pas mal de dégâts au sein de la faune et la flore marines. Les capsules de dynamite seraient acheminées clandestinement d'un pays voisin. Une fois réglées suivant les profondeurs visées, elles imploseraient pour ramener à la surface une quantité dérisoire de produits. Les tremblements de terre font partie aussi des arguments avancés chez les pêcheurs pour invoquer le manque de poisson ; celui-ci, à cause des séismes marins de plus en plus fréquents, émigrerait ailleurs. Enfin, la pêche ayant décidément pris des contours de plus en plus curieux, et pour couronner le tout, on affirme que dans un des ports de l'Ouest algérien, on pêche de plus en plus à la ligne le poulpe ou la petite pieuvre. Les produits de cette pêche seraient ensuite acheminés ailleurs pour y être traités dans une société pharmaceutique spécialisée dans la fabrication du fil de suture. Pour sa part, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a publié, en mars dernier, son dernier rapport sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture. Selon ce rapport, si la pêche mondiale a atteint un nouveau record de production en 2006, cette croissance repose uniquement sur l'aquaculture, qui représente désormais 47 % du poisson consommé par l'homme. En outre, la consommation mondiale devrait doubler d'ici à 2030. Les prises de pêche plafonnent et certains stocks sont proches de l'effondrement. La surexploitation continue. Z. F.