Des mots pour dire les maux. Une plume pour dénoncer. Une tête qui ne peut plus contenir. Et des histoires pour dire l'Histoire. Les écrivains africains écrivent sur les questionnements qui les habitent et les tourments de leurs peuples. C'est ce qui est ressorti de la 1re rencontre thématique organisée dimanche dernier à l'esplanade de Riadh El-Feth, dans le cadre de la 2e édition du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse, qui se poursuivra jusqu'au 29 du mois en cours. Cette première rencontre intitulée “De quoi parlent les écrivains africains ?”, modérée par l'universitaire et spécialiste de la littérature africaine, Amina Bekkat, a été animée par l'écrivain algérien Anouar Benmalek, l'écrivaine congolaise Mambou Aimée Gnali, l'écrivaine ivoirienne Tanella Boni, l'auteur et journaliste mauritanien, Bios Diallo, l'écrivain guinéen, Libar Fofana et le Renaudot 2008, le Guinéen Tierno Monénembo. Bien que le thème de cette rencontre soit générique, commun, très vaste et un peu discriminatoire puisqu'il considère l'Afrique comme un pays et non comme un continent, tout en proposant d'aborder la littérature comme un tout homogène, Mme Bekkat a réussi à modérer la rencontre et faire parler les écrivains sur leur différentes approches de la littérature. La première question qui a ouvert la rencontre et fait naître une mini-polémique a été : “Qu'est-ce qu'un écrivain africain ?” Selon Libar Fofana, c'est une question de survie. L'auteur guinéen a raconté son émouvante et touchante histoire avec la littérature qui lui a sauvé la vie et permis d'entrer à nouveau en contact avec le monde extérieur, puisque perdant le sens de l'audition, l'écriture était son seul salut. Tanella Boni de son côté s'est interrogé sur si ce n'était pas un débat franco-français que de cloisonner un écrivain, un être libre par définition. Tanella Boni a également révélé que l'écriture rime avec : “La sortie du silence. J'ai toujours été la fille silencieuse, je ne parlais pas en classe, et encore aujourd'hui, il m'arrive de passer une journée sans parler.” Bios Diallo a abondé dans le même sens en déclarant : “On a perdu la communication avec le monde extérieur. C'est une sortie du silence, et chez moi, ça s'est déclenché en 1989 avec les incidents qui se sont passés entre la Maurétanie et le Sénégal. Je prenais des notes dans la peur à cette époque-là, et je lisais le drame à mon niveau.” L'appellation écrivain africain dérange Mambou Aimée Gnali, alors que chez Tierno Monénembo, elle représente un besoin et une manière de garder le contact avec les siens. Et aussi : “Je tiens à dire que je suis un écrivain africain parce que je trouve que la question est suspecte.” Par contre, chez Anouar Benmalek, qui a dit une fois dans une de ses interviews : “Je suis écrivain… et algérien”, il écrit pour des raisons pragmatiques. “J'ai commencé à écrire pour draguer une fille”, révèle-t-il avec entrain. En fait, il considère que cette stratification ou classification est un piège. “Ajouter un adjectif à écrivain est un piège. Lorsqu'on dit écrivain africain, on pense automatiquement à l'Afrique noire ; et même en France, lorsqu'on dit écrivain algérien, cela veut dire qu'on appartient à une sous-catégorie. Je refuse tous ces titres, mais en même temps, dans ma pratique d'écriture, j'écris sur l'Algérie”, argumente-t-il. Les intervenants ont également été contraints d'évoquer leurs thématiques. Anouar Benmalek se croit chargé d'une mission imposée par la société et le contexte politique, Bios Diallo pense que les indépendances nous ont déçus, et “les gouvernants en Afrique se sont substitués au colonisateur, il y a eu une sorte de transfert de pouvoir, mais l'actuel pouvoir auquel nous avons affaire, ne fait pas de concessions”. Selon Mambou Aimée Gnali, “les écrivains, notamment congolais, ne se compromettent pas beaucoup parce qu'il y a un décalage entre ce qu'ils écrivent et leurs modes de vie. Les intellectuels doivent prendre des positions dans la presse, car on écrit des livres qui ne sont pas lus”. D'après Tanella Boni, “la plume est un risque qu'on prend, mais il ne faut pas confondre l'écrivain avec le politique”. D'autre part, nous avons noté auprès de tous les auteurs qui sont intervenus, la récurrence du terme “liberté”. Ce mot revenait à chaque intervention, mais que fait-on de la censure, de l'autocensure et de l'Histoire ? Les pays qui composent l'Afrique sont jeunes et ont encore des pages blanches dans leur histoire. Ecrire en se détachant de l'histoire de son peuple et de ce qui nous afflige, relève de l'impossible. Ecrire en négligeant sa propre histoire et son appartenance est une capitulation et un reniement. Ecrire sans autocensure est un effort extraordinaire. Ecrire juste pour écrire est une pratique vaine. Ecrire sur un coin particulier en oubliant le reste du monde est une manière de rendre extraordinaire le destin des gens ordinaires. Il faut juste garder à l'esprit qu'un auteur est d'abord un “je” et non un “nous” ; et qu'un écrivain c'est avant tout un univers, une forme, une esthétique… et enfin, une idéologie.