Le ministre de la Santé a déclaré que le gouvernement est prêt à annuler la “omra” pour réduire le risque de contamination par la fièvre porcine pour nos pèlerins. Mais Saïd Barkat assortit cette disposition gouvernementale de la condition que “tous les pays musulmans se mettent d'accord pour interdire la omra”. La Tunisie a déjà pris la résolution de suspendre le rite au nom du principe de précaution. Mais la Tunisie n'est pas un bon pays musulman, elle qui a décrété l'égalité homme-femme depuis un demi-siècle, interdit les partis islamistes depuis trente ans et qui, au lieu de leur courir après avec une Charte pour la réconciliation nationale, traque les terroristes depuis leur première manifestation. Un gouvernement pieux, comme le nôtre, doit attendre la fetwa panislamique, celle qui a compétence pour la oumma entière parce qu'elle aura été émise par Al-Qaradaoui ou Tantaoui ou un docteur de ce niveau. Ce n'est pas à l'échelle d'alerte graduée de l'OMS de faire passer un impératif de santé publique devant le droit aux rites qu'un Etat musulman doit assurer à ses fidèles ! Déjà qu'on ne vérifie pas que tous les vaccins sont hallal ! Mais voyez-vous l'Arabie Saoudite, gigantesque royaume pétrolier et néanmoins colossal tour-operator religieux, partager un consensus pour le boycottage de la seconde industrie royale ? Si le débat venait à s'internationaliser, il n'est pas exclu que l'on assisterait à une guerre fratricide sur le thème sacro-sanitaire de “la omra au temps de la grippe porcine”. Il y a longtemps que notre Etat manipule le sentiment religieux, au point de cultiver la peur de chatouiller la fibre de piété : en face, des vigiles intéressées attendent, en snippers, qu'il y touche pour tirer à vue. Quand on n'a plus le courage politique qu'exige la gestion d'une République, fleurissent ces formules qui expriment plus la fuite en avant que la stratégie sereinement conçue. On sait qu'en cette période d'explosion endémique de la grippe, il n'est pas raisonnable d'envoyer ses ressortissants dans des bains de foule à l'étranger, mais le motif sacré de ce voyage désarme le décideur politique. Il se réfugie derrière la collégialité supranationale d'une décision en introduisant la confusion sur le fondement religieux ou médical d'une telle décision. Cette fuite en avant des responsables pour ne pas être confrontés à la vigilance intégriste donne ce genre de surréalistes propositions : “Le général de corps d'armée Gaïd Salah a insisté sur la poursuite de la lutte antiterroriste s'inscrivant dans le cadre de la réconciliation nationale.” (Lu dans une dépêche APS d'hier). “La lutte antiterroriste dans le cadre de la réconciliation nationale” veut-elle dire que l'ANP fera autre chose que ce qui se fait en pareille situation : capturer et tuer les terroristes ? Tout cela donne la désagréable impression d'une république trop timorée ou trop compromise pour qu'elle puisse faire ce qu'une république doit faire. Ici, le réflexe politique de prévenance religieuse aura eu raison du principe de précaution en matière de santé. Là, c'est notre sécurité et nos libertés, entre autres, qui en pâtissent.