Les animateurs de l'association algéro-américaine de scientifiques et l'association des Algériens américains du grand Washington ont transféré, mercredi dernier, un troisième enfant atteint de spina-bifida vers un hôpital américain, pour y être opéré. Ils assurent qu'ils agissent par esprit philanthropique, en voyant la détresse des parents. Les membres de la Société algérienne de neurochirurgie crient au scandale et attestent que la pathologie est bien prise en charge en Algérie. Ils soupçonnent de sombres desseins à travers cette action. Entre les deux parties, la polémique enfle. S'il est difficile de démêler le vrai du faux dans les arguments des uns et des autres, la réalité se profile cependant à travers les témoignages des parents. Un mouvement de solidarité sans précédent s'est enclenché dès la diffusion, sur Youtube au début 2008, d'une vidéo montrant les souffrances de Mounib, un bébé de deux ans et demi, atteint de spina-bifida — une malformation congénitale générée par un déficit de fermeture du tube neural. Environ 160 000 dollars américains ont été collectés, en peu de temps, grâce aux dons de ressortissants algériens établis un peu partout dans le monde, selon M. Elias Filali, membre de l'AAAGW (Algerian American Association of Greater Washington). Il assure que les initiateurs de l'opération et leurs donateurs ont été bouleversés par le SOS des parents de l'enfant, lancé d'abord sur le journal El-Khabar puis sur la Toile. “Nous avons été interpellés sur ce cas. J'ai réussi à obtenir la gratuité des soins dans ma clinique”, rapporte le Dr Stanbouli, conseiller médical à Mayor Clinic au Minnesota (Ohio). Le gosse est évacué vers les Etats-Unis en urgence, en avril 2008, à bord d'un avion médicalisé d'une compagnie étrangère. Il est dans le coma des suites d'une méningite cérébro-spinale. Dans l'hôpital américain, on s'attelle à stabiliser l'état de l'enfant, avant de l'opérer. Miracle de la science, le petit s'en sort et montre même des prédispositions à la récupération de la motricité. Un reportage sur son histoire est diffusé alors sur la chaîne américaine, à audience nationale, ABC, dans son émission “Good Morning America”. Il est présenté comme un exemple d'actions humanitaires dont sont capables les compatriotes de Barak Obama, mais aussi ceux de l'enfant algérien. Au revers de la médaille est montré un pays, l'Algérie en l'occurrence, qui n'a pas la capacité de prendre en charge les enfants né avec le spina-bifida. En juillet 2008, le Dr Azzedine Medhkour, neurochirurgien à l'hôpital de Toledo (Etats-Unis), arrive au pays, avec 60 000 dollars de matériel médical et de médicaments. Il se prépare à opérer des enfants sur place. “Nous avons contacté le ministère de la Santé, pour qu'il mette à la disposition du neurochirurgien un bloc et un plateau opératoires. Nous n'avons pas eu de réponse jusqu'à la parution d'un article sur El-Khabar. Nous avons été alors reçus par le ministre pendant deux heures. Il nous a promis de satisfaire notre requête. Il n'a pas tenu parole. Le Dr Medhkour était obligé de partir à la fin de son congé. Il s'est engagé à prendre en charge les enfants qu'il avait vus ici. En avril dernier, nous avons réussi à transférer Ayoub, âgé de 18 mois. Khadidja, presque 4 ans, est partie mercredi 24 juin. Elle subira 16 opérations, car son cas est compliqué”, raconte Elias Filali. “Nous recevons des dizaines de demandes, mais nous ne pouvons pas emmener tout le monde. Nous nous occuperons encore de deux petites filles, Asma et Maria, qui ont beaucoup de chance de marcher”, complète le Dr Stanbouli. Le transfert à l'étranger pour soins est une option préférentielle au regard de la majorité des malades graves et de leurs proches, tant la confiance manque en le système de santé algérien. Mme B. est mère d'une fille de 10 mois, souffrant de spina-bifida et d'une autre malformation congénitale associée, l'hydrocéphalie. Le bébé est opéré, à l'âge de 5 mois et demi, à l'hôpital militaire d'Aïn Naâdja. “Le neurochirurgien, qui l'a opérée, dit que l'intervention a réussi, mais je ne suis pas convaincue. Nous voulions, pour elle, une prise en charge à l'étranger pour lui donner un maximum de chances de s'en sortir, mais on nous y a dissuadés en arguant que ces interventions sont courantes en Algérie”, témoigne notre interlocutrice. À vrai dire, il est encore prématuré de parler d'échec de l'opération. La petite arrive à bouger le pied gauche et, depuis quelques jours, les orteils du pied droit. C'est un bon signe. “Elle a contracté, à l'hôpital, une infection nosocomiale, qui l'a beaucoup affaiblie. On nous a dit, par ailleurs, qu'elle est trop jeune pour des séances de rééducation.” Maria est aujourd'hui âgée de 16 mois. Elle est en plein apprentissage de la marche, malgré la malformation avec laquelle elle est née. Il y a un mois, l'équipe du Pr Bouyoucef (service de neurochirurgie du CHU de Blida) la programme pour le bloc opératoire. Le jour J, on propose à sa maman de l'hospitaliser, après l'intervention chirurgicale, à l'hôpital de Médéa, à cause du manque de places dans le service. Les parents de la petite fille refusent. Ils décident, en fin de parcours, de ne pas opérer Maria en Algérie, par peur qu'elle ne perde sa motricité. Ils prennent attache avec M. Filali et le Dr Stanbouli, pour qu'elle bénéficie des mêmes soins prodigués à Ayoub aux Etats-Unis, au printemps dernier. M. Hamdi Mourad, père du garçon, revient, dans l'entretien qu'il nous a accordé, sur les détails du transfert de son fils. “Les démarches ont pris une année. De juillet 2008, quand a lieu le premier contact avec le Dr Medhkour à avril 2009, date de l'opération d'Ayoub à l'hôpital de Toledo”, rapporte-t-il. Il précise que les frais du voyage d'Ayoub et de sa maman ont été assumés par la famille. “J'ai prêté de l'argent. Des proches et des amis nous ont aidés financièrement. Ma femme a été hébergée au McDonalds'House. Des ressortissants algériens, résidant aux Etats-Unis, l'ont assistés financièrement et moralement”, affirme-t-il. Deux mois après l'intervention, la mère et son enfant reviennent au pays. Ayoub parvient à se tenir sur ses jambes, mais a besoin de longues séances de rééducation fonctionnelle. “C'est un autre parcours du combattant, mais quand je me rappelle les souffrances de mon fils avant l'opération (infections à répétition, peur de chutes sur le dos… ), je suis heureux d'avoir pu le sauver, au moins à 80%”, souligne M. Hamdi. “Il y a des possibilités que ces patients vivent normalement. Il faut créer des centres spécialisés pour les enfants atteints de spina-bifida, car ils nécessitent une couverture médicale lourdes et régulières”, soutient Dr Stanbouli.