L'avion se trouve être le moyen de transport le plus polluant. En plein essor, le transport aérien mondial est particulièrement ciblé par la fameuse taxe carbone et directement concerné par la Directive européenne. La compagnie nationale a, d'emblée, récusé cette directive contraire au droit international. La France, par la voix de son Premier ministre François Fillon, semble s'être rétractée. Qu'en est-il réellement ? C'est avec force arguments que Sofiane Aït Abdelmalek, chef de projet à Air Algérie, nous explique le pourquoi d'un refus irrévocable. Liberté : Quels ont été les arguments avancés par Air Algérie face à la décision de l'Union européenne de faire payer aux compagnies étrangères la taxe carbone ? Sofiane Aït Abdelmalek : Air Algérie désavoue cette taxe qui est contraire au droit international, en particulier à la Convention de Chicago régissant le transport aérien international, au Protocole de Kyoto et aux dispositions de l'Accord bilatéral du 16 février 2006, relatif aux services de transport aérien, conclu entre l'Algérie et la France. La directive européenne 2008/101/CE instituant cette taxe prévoit que chaque compagnie aérienne soit ‘‘rattachée'' à un Etat européen. Cette répartition se fait en fonction du trafic réalisé par chaque compagnie. En ce qui concerne Air Algérie, étant donné que le plus gros de notre trafic s'opère vers la France, c'est donc l'Etat français qui a été désigné par la Commission européenne comme étant l'Etat européen chargé de veiller à ce que les dispositions de cette directive soient respectées par Air Algérie. En quoi est-elle contraire au droit international ? Comme déjà indiqué, cette directive est une mesure unilatérale contraire à la Convention de Chicago. Elle exige une comptabilisation des émissions de CO2 de l'aéroport de départ à l'aéroport d'arrivée, ce qui lui confère un effet extraterritorial qui porte atteinte à la souveraineté des Etats tiers. C'est pour cela que nous la considérons comme étant politiquement illégitime et juridiquement illégale. Comment ces émissions sont-elles quantifiées ? Cela se fait par rapport à la quantité de fuel consommé qui est multipliée par un facteur d'émission qui est 3,15 (chaque tonne de kérosène produit 3,15 tonnes de CO2). L'Union européenne a mis en place des lignes directrices que les compagnies aériennes sont tenues de suivre en vue d'établir des rapports annuels, vérifier leur consommation carburant par vol et donc leurs émissions de CO2 qui en résultent. C'est une immixtion qui ne dit pas son nom… C'est en cela qu'elle est contraire à la Convention de Chicago. L'Union européenne comptabilise les émissions de gaz à effet de serre des aéronefs, de l'aéroport de départ à celui d'arrivée. Or, si l'on prend l'exemple d'un vol Tamanrasset-Madrid, il faut savoir que des émissions de CO2 sont lâchées au-dessus du territoire algérien. Malgré cela, la directive exige des compagnies aériennes non européennes le paiement d'une taxe carbone sur leurs émissions de gaz à effet de serre émises lors du survol de leur propre territoire national. Par ailleurs, ladite directive est contraire à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et au Protocole de Kyoto, puisque ces deux instruments internationaux établissent une distinction claire et sans équivoque entre les pays développés et les pays en voie de développement en ce qui concerne le financement de la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction de gaz à effet de serre. En effet, au titre des instruments sus-mentionnés, les pays développés ont une obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre parce qu'ils sont historiquement responsables du réchauffement climatique, lequel est la conséquence d'une émission intense durant plus d'un siècle de leurs émissions de gaz à effet de serre. C'est pour cette raison-là que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et le Protocole de Kyoto ont imposé aux seuls pays industrialisés (dont l'Union européenne fait partie) une obligation de réduction de leurs gaz à effet de serre. Ces deux conventions internationales obligent également les pays industrialisés (y compris l'Union européenne) à fournir aux pays en voie de développement (qui sont en réalité les premiers et plus touchés par les effets du réchauffement climatique) l'appui financier et technologique nécessaire pour les aider à atténuer et à s'adapter aux conséquences dangereuses du réchauffement climatique. La directive européenne 2008/101/CE ignore les dispositions des conventions internationales sus-mentionnées puisqu'elle prévoit non seulement de mettre sur le même pied les compagnies aériennes des pays industrialisés et celles émanant des pays en développement, mais aussi, elle ne prévoit aucune aide financière et technologique à apporter aux compagnies aériennes des pays en développement afin de les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il est pourtant recommandé que l'Algérie se mette au diapason des standards internationaux sur le modèle des grandes compagnies et que, pour ce faire, nous ayons besoin de ces transferts de technologies ? En effet. À juste titre, je rappelle le fait que la directive européenne prévoit l'acquisition de droits de polluer (quota d'émission) qui seront soumis aux enchères à partir de 2012. Lesquelles enchères seront organisées par les Etats membres de l'Union européenne. Il faut savoir que la directive en question n'offre aucune garantie quant à l'affectation des importantes sommes d'argent qui seront générées par le biais de ces ventes. En fait, cet argent finira dans les caisses des pays de l'UE, qui ne manqueront pas de l'utiliser pour financer leurs propres industries et pour développer de nouvelles technologies qui nous seront par la suite revendues ! Le chèque vert, ce n'est pas pour demain. Le récent retour des socialistes sur la scène politique française ne plaide pas en faveur de la taxe carbone, cheval de bataille du président français. Qu'en dites-vous ? Concernant la directive européenne relative à l'aviation, qui nous intéresse, il n'y a aucun recul de la part de l'UE. La directive est déjà entrée en vigueur, notamment vis-à-vis d'Air Algérie. Déjà en 2009, la directive exigeait de l'ensemble des compagnies aériennes qui desservent l'Union européenne de transmettre avant le 31 août 2009 un plan de surveillance détaillé, énonçant la manière avec laquelle se fera, à partir du 1er janvier 2010, le suivi et la déclaration des émissions de CO2 et de la charge utile transportée pour chaque vol assurant une liaison de/vers l'UE. Nous devions, au niveau d'Air Algérie, élaborer, en un laps de temps très court, ce plan et le transmettre aux autorités françaises (la direction générale de l'aviation civile française) avant le 31 août 2009. Ne s'agit-il pas là d'une forme d'abdication ? Pas du tout ! Concernant la date butoir du 31 août 2009, il faut savoir qu'Air Algérie a transmis ces plans, mais non sans émettre des réserves juridiques appropriées. À cette directive unilatérale concernant l'ensemble des compagnies arabes, maghrébines et africaines, n'existe-t-il encore aucune coalition pour faire barrage ? Nous œuvrons justement dans ce sens, en vue de fédérer les compagnies arabes et africaines pour avoir une position commune et entreprendre éventuellement d'autres actions. Le travail de contestation suit son cours. Nous avons parlé d'Air Algérie en tant que compagnie aérienne, or, n'y a-t-il aucune action gouvernementale entreprise dans ce sens ? Je souhaiterais juste souligner qu'Air Algérie n'est pas la seule concernée par cette directive. En effet, celle-ci concerne également d'autres compagnies comme Tassili Airlines, Star Aviation, l'ENNA… En fait, c'est le secteur aérien algérien qui est visé, c'est à lui que l'on veut imposer une obligation de réduction de gaz à effet de serre. Cette directive s'applique aujourd'hui pour le secteur aérien, mais il faut savoir qu'elle pourrait demain être élargie au secteur maritime. C'est donc une approche sectorielle dangereuse qui pourrait mettre à mal les économies des pays en développement. Pour répondre à votre question, je vous invite à vous rapprocher des autorités publiques qui sont les seules habilitées à parler au nom du gouvernement algérien. À combien s'élève la taxe carbone ? Elle dépendra du prix de la tonne de CO2 à partir de 2012. Actuellement, il y a 7 bourses carbone en Europe où se vend et s'achète le CO2. La tonne de dioxyde de carbone est estimée actuellement à 14 euros alors qu'elle avait atteint les 20 euros avant la récente crise économique. Les effets du réchauffement se faisant de plus en plus ressentir, il est évident que son prix ira crescendo. En outre, d'ici 2020, il faut savoir qu'Air Algérie aura à débourser plusieurs millions d'euros pour une directive illégale. Alors pourquoi payer sans rien dire ? C'est une question de principe.