“Comme si devoir de mourir ne suffisait pas, il faut aussi compter sur le laisser mourir et le faire mourir. (Anthropologie de la mort : L.V. Tomas p : 103.” Qui parmi nous se rappelle de cette femme de verbe, en vers, de plume, en encre et de cœur, fille de Meskiana, celle qui sa maman l'a appelée Yamina, oui Yamina Mechakra ? Les mamans, toutes les mamans, savent bien choisir les noms de leurs filles. J'adore ce nom “YAMINA” très algérien. Il est très fort par sa musicalité rurale et fine. D'ailleurs, Ahmed Wahbi a chanté sa Yamina : “Yamina Ghadra”.Une femme fragile au sourire douloureux ! Elle appartient à la race “des roses” ! Celle qui, autour de son premier roman La Grotte éclatée a pu réunir deux géants de la culture algérienne : M'hamed Issiakhem pour la couverture (tableau de l'aveugle) et Kateb Yacine pour la préface, cette écrivaine est menacée d'extinction.“Issiakhem lui a dit un jour : attention, il ne faut pas écrire comme les femmes, hein ?!” cette écrivaine qui a écrit comme “les grands” sombre dans le silence d'un hôpital psychiatrique, sans caresses, sans amis et sans poésie ! Elle qui adorait écouter le vin des vers. Elle est plus grande que notre silence complice qui l'enterre vivante. Nous regardons sa mort unique et spectaculaire et nous croquons des pistaches persanes grillées ! Nous évitons de regarder sa descente en enfer de la folie pour mieux déguster ce match en direct de Johannesburg ! Et, dehors, les drapeaux aux couleurs nationales flottent partout dans les rues et les ruelles, nous sommes le 5 juillet, 48 ans d'indépendance. Et Yamina garde de cette guerre de libération des images : “un homme écartelé sur le canon d'un char, exposé dans la rue. Elle a vu torturer son père. Elle l'a vu mourir en lui recommandant de garder la tête haute… c'est à lui qu'elle dédia le livre.” Comment une poétesse internée à l'hôpital psychiatrique Frantz-Fanon de Blida vit ce jumelage : la poésie et la folie ? Qui est l'origine de l'autre ? À l'image de son maître Kateb Yacine, Yamina Mechakra est l'écrivaine d'un seul texte, d'un seul livre. Les prophètes, comme les poètes, eux aussi n'ont qu'un seul livre. Par son roman La Grotte éclatée (1979), Yamina Mechakra a bouleversé l'écriture algérienne des années 70/80. Sur les traces de Nedjma, de Kateb Yacine, vingt-cinq ans après l'apparition de Nedjma (1956), Yamina Mechakra a révolutionné l'écriture romanesque sur la révolution algérienne. Comme Mohammed Dib, dans Qui se souvient de la mer (1962), Yamina Mechakra voulait subvertir l'écriture de l'intérieur, en dynamitant la langue et les genres littéraires. La Grotte éclatée est un texte en plein feu de la folie. La folie créative est la sœur jumelle de toute écriture honnête et révélatrice. La folie est installée dans le texte ou dans l'âme de Yamina ? C'est kif-kif ? Dans sa préface au roman, Kateb Yacine écrit : “À l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.” “L'écrivaine éclatée” ! L'or est l'affaire des femmes esclaves ! Et en ce 5 juillet, 48 ans d'indépendance, un demi-siècle, la poudre est mouillée à l'hôpital psychiatrique de Blida. Seule, esseulée ! Le baroud ne répond plus ! Et l'âme subversive saigne ! L'âme est blessée ! En ces jours de fête du 5 juillet 2010, face à ces drapeaux aux couleurs nationales qui flottent, berçant la mémoire de la révolution, en soutien à l'écrivaine Yamina Mechakra dans sa souffrance, j'invite les Algériens à lire ou à relire son roman La Grotte éclatée (je signale que le roman est disponible en traduction arabe). Merci Yamina Mechakra pour tout ce que tu nous as appris, dans et par le texte, dans et par ta vie peinée. A. Z. [email protected]