Le harcèlement judiciaire qui touche actuellement certains journaux privés, particulièrement Liberté et Le Matin, n'a pas laissé la corporation dans l'indifférence. Bien au contraire ! “Ce sont des harcèlements qui actionnent la justice à des fins politiques, encore une fois”, a indiqué, hier, le rédacteur en chef du Matin, Rachid Mokhtari. Selon lui, il est incompréhensible qu'un policier “se substitue d'abord à la justice et puis se donne les compétences d'appuyer les accusations à partir d'écrits rendus publics, dûment soumis à l'opinion publique”, alors qu'il devrait travailler “sur des faits réels”. Ce responsable est convaincu que cette cabale vise à “mettre le journaliste dans un état de psychose” ou “dans une sorte d'autocensure”, dans la mesure où “son écrit est passible de mesures policières”. M. Mokhtari a aussi indiqué que la “traque” lancée contre les journalistes et en particulier contre Mohamed Benchicou, Alilat et Dilem, ambitionne de les faire apparaître comme “des bandits et des repris de justice”, en jetant “le discrédit sur eux”. Le directeur de la publication de La Nouvelle République, Abdelwahab Djakoun, a estimé, de son côté, que “la première responsabilité incombe à la corporation”, en déplorant “toutes ces tentatives qui ont été faites pour s'organiser”. Il est persuadé que “tant qu'on ne s'est pas réuni et tant que les problèmes liés au secteur ne sont pas mis sur le plateau, on persistera dans la même situation, celle d'une corporation divisée et démobilisée”. M. Djakoun a affirmé que “le problème est global”, en appelant à une réunion entre les éditeurs, “une fois les choses normalisées”. De son côté, le rédacteur en chef adjoint du quotidien El Khabar, Mahmoud Belhimer, a été très critique vis-à-vis du pouvoir, relevant que “la presse qui critique est celle qui subit des harcèlements, pas seulement Liberté et Le Matin, mais pratiquement tous les titres”. M. Belhimer n'a pas écarté le risque, à l'avenir, de “toucher d'autres journaux”, en notant que le harcèlement judiciaire “est un message pour les autres titres, afin de les faire taire”. Le responsable d'El Khabar a considéré qu'outre la corporation, c'est “tout le monde qui est concerné” par la liberté de la presse : journalistes, partis politiques, syndicats, etc. Mahmoud Belhimer a, néanmoins, regretté que “la corporation ne connaisse pas de mobilisation à la hauteur des menaces qui pèsent sur la presse”. “La seule chose qui existe dans cette Algérie de 2003 est cette “petite presse” qui dérange l'arbitraire et qui menace les cadres autoritaires”, a encore déclaré le rédacteur en chef adjoint d'El Khabar. Au quotidien La Tribune, il n'est pas question d'être ingrat avec les confrères. Pour le directeur de ce titre, Bachir Chérif Hassan, “c'est grâce à la solidarité que notre journal est réapparu à l'époque”. Et, pour cela, la position de La Tribune est claire : “Nous restons toujours solidaires quand on touche à des confrères et on l'exprime par nos écrits. Ceci n'empêche pas la différence et l'autonomie dans la ligne éditoriale.” Pour les responsables d'El Watan, “la bataille de demain n'est pas celle de la liberté d'expression, mais celle de l'impression”. Omar Khartoum, le chef d'édition, a ainsi estimé qu'il “faut battre en brèche le monopole d'Etat sur les moyens d'impression”, en reconnaissant que “sous le paravent démocratique, c'est un pouvoir autoritaire qui s'installe, car on sent que la liberté d'expression est en net recul”. Au niveau d'Alger Républicain, son directeur de publication “rappelle aux responsables leur devoir de respecter les lois qui régissent le pays”. Zoheir Bessa a également révélé qu'“un des devoirs les plus importants à respecter est celui de la liberté d'expression”. Selon le dirigeant d'Alger Républicain, “le problème de fond” est le suivant : “Quand il y a des informations qui touchent des responsables si hauts placés qu'ils soient, ces derniers doivent se défendre en utilisant les lois et les droits que ces lois leur reconnaissent.” Pour M. Bessa, “cette règle de conduite s'impose à tout responsable, quels que soient le courant politique et idéologique auquel il appartient ou qu'il défend”. Tout en admettant que “les lois régissant l'information sont draconiennes”, le directeur de ce mensuel n'a pas caché les risques qui entourent “l'utilisation abusive des amendements apportés au code pénal”. “Le risque est d'arriver à étouffer complètement les libertés d'expression, avec toutes les conséquences qui vont suivre sur le pays et les reculs qu'ils vont provoquer dans les droits démocratiques, conquis ces quinze dernières années”, a relevé M. Bessa. Puis d'ajouter : “De ce point de vue, on ne peut pas accepter les harcèlements judiciaires qui visent un certain nombre de journaux et de confrères.” H. A.