Livrant à ses interlocuteurs américains le fond de sa pensée sur les rapports de l'Algérie avec la France et le Maroc, le chef de l'Etat algérien estime que Paris règle ses comptes avec Alger, par son soutien à Rabat dans le conflit du Sahara occidental, car il “n'a jamais vraiment accepté l'indépendance algérienne”. Nombreux étaient ceux qui pensaient que l'arrivée de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999 allait faciliter le règlement du conflit du Sahara occidental, car beaucoup lui prêtaient un côté pro-français et un désir de se rapprocher du Maroc. Certes, il voulait une amélioration des relations avec Rabat, mais apparemment, pas à n'importe quel prix. En effet, ces assertions, particulièrement celles ayant trait à une volonté de Bouteflika de contribuer à une solution du conflit sahraoui arrangeant le Maroc en opposition avec de prétendues positions de généraux algériens antifrançais et soutenant aveuglément le Front Polisario, sont balayées d'un revers de la main par les notes des diplomates américains rapportant les confidences du président Abdelaziz Bouteflika sur ces deux questions. À en croire un document de WikiLeaks, il tient à la fermeture des frontières jusqu'à l'indépendance du Sahara occidental. Néanmoins, il modérera sa position en assurant à des responsables américains, en juin 2006, que l'Algérie ne fera pas la guerre au Maroc. Sur un ton plus ferme, il dira à l'assistante de l'ex-président américain, George Bush, pour la sécurité intérieure et l'antiterrorisme, Frances Fragos Townsend, qui était en visite à Alger : “Je ne serrerai pas la main du roi.” Dans le même ordre d'idées, une note diplomatique américaine, datée de novembre 2009, indique que le chef de l'Etat algérien critique le roi du Maroc. Il aurait ainsi affirmé que Mohammed VI “n'est pas ouvert et manque d'expérience”. Un autre mémo américain révèle que Bouteflika donne l'impression d'apprécier davantage Moulay Rachid, le frère du monarque marocain, avec lequel il dit avoir “plaisanté et discuté agréablement” lors d'une rencontre à Séville, en Espagne. Toujours au sujet du conflit sahraoui, une note de février 2008, signée d'un diplomate américain, après un entretien avec Abdelaziz Bouteflika, ce dernier a jugé qu'au lieu de faire preuve d'une approche “élégante” en acceptant une indépendance du Sahara occidental qu'ils auraient pu “contrôler” ou “superviser”, les Marocains souhaitaient en réalité “un Anschluss, comme Saddam Hussein avec le Koweït”. Ceci étant, le Président algérien n'apprécie guère le rôle de la France dans le dossier du Sahara occidental, car, selon lui, “la France n'a jamais vraiment accepté l'indépendance algérienne” et tente de régler ses comptes avec l'Algérie “en appuyant le Maroc”. C'est ce qu'il aurait confié à ses interlocuteurs américains, lesquels les auraient transcrits dans des mémos diplomatiques diffusés par WikiLeaks. D'autres documents similaires indiquent que Bouteflika a estimé, lors d'une rencontre avec Frances Fragos Townsend, conseillère du président George W. Bush pour les affaires de sécurité, que les Français, “du fait du poids de leur histoire coloniale au Maghreb, sont incapables de jouer un rôle constructif dans le conflit” du Sahara occidental. Il aurait même assuré : “Si je pouvais résoudre le problème, je le ferais. Mais je ne peux pas parler à la place des Sahraouis.” Pour ce qui est de la solution de ce conflit, Abdelaziz Bouteflika pense que ce qu'il faut, c'est que “le Maroc et le Polisario trouvent une solution, et ils peuvent le faire avec l'aide des Américains”. Côté marocain, la même source souligne que les responsables de ce pays ont affirmé, en juin 2009, au représentant personnel du secrétaire général de l'ONU, Christopher Ross, que le pouvoir à Alger est toujours entre les mains de généraux dogmatiques, “pétrifiés” à l'idée du plan d'autonomie pour le Sahara présenté par Rabat. Mais, voilà que les diplomates américains clouent le bec aux officiels marocains en rapportant ce que pense réellement le président Bouteflika du conflit sahraoui.