Avec plus de 70% du volume des affaires, l'économie “souterraine” ou le secteur de l'informel, — bien qu'un tel phénomène ne soit pas propre à l'Algérie —, a pris des proportions telles qu'il menace désormais, la stabilité économique et sociale du pays. Les émeutes que nous avons vécues récemment, ne sont-elles pas aussi, à la fois, l'expression et la conséquence de cette dangereuse perversion du fonctionnement de l'économie nationale ? En 2009 déjà, le directeur du contrôle et de la répression des fraudes du ministère du Commerce, lors d'une intervention sur les ondes de la Chaîne III, avait affirmé que “le chiffre d'affaires (CA) dissimulé des ventes sans facturation a atteint 60 milliards de dinars”. à titre de comparaison, selon l'Institut italien des statistiques (ISAT), l'économie informelle en Italie représenterait plus de 17% du PIB et brasserait un chiffre d'affaire qui oscille entre 255 et 275 milliards d'euros. Aux USA, certaines sources officielles estiment le poids des activités informelles à plus de 10% du PIB. De son côté, le Centre marocain de conjoncture (CMC) évalue l'emploi informel en Afrique du Nord à plus de 48% du total des emplois existants. Par ailleurs, relevant la corrélation directe entre le poids de l'informel et le niveau du développement économique des pays du tiers monde, la Banque mondiale, le FMI et le BIT, préconisent pour ces mêmes pays, l'insertion des activités informelles dans le secteur formel, à travers notamment des stratégies économiques adaptées aux situations spécifiques de chacun d'eux. Le BIT (Bureau international du travail) admet même un seuil de tolérance de 3% des emplois dans les activités informelles dans tous les pays. Certains spécialistes de l'économie internationale pour leur part, vont jusqu'à penser que “l'économie souterraine” fait fonction dans certaines conjonctures, de captation et d'amortissement (soupape de sécurité) des conséquences de la crise dans les pays dits développés, notamment dans le domaine de l'emploi, ce qui aurait amené les états de ces pays à “fermer l'œil” et même, dans certains cas, à tolérer, voire encourager un seuil minimum d'activités informelles. Faut-il poursuivre la traque des petits marchands ambulants ? S'agissant de l'Algérie, selon diverses sources, le poids de l'informel a atteint le niveau “d'alerte rouge” qui risque, non seulement d'hypothéquer toute dynamique de relance de l'appareil de production nationale, mais qu'il constitue, désormais, un poids politique qui peut contrecarrer l'accomplissement des missions régaliennes de l'état, et remettre en cause la stabilité économique et sociale du pays. Les dernières protestations sociales contre l'augmentation brutale des prix du sucre et de l'huile de table, constituent la preuve incontestable de la puissance des lobbys de l'informel. En effet, selon un expert de ces questions, dans une interview accordée à un quotidien national, les activités informelles brasseraient un chiffre d'affaire de 6 milliards d'euros/an, soit environ “17% des revenus des ménages”. Le nombre d'opérateurs économiques et commerciaux est estimé à plus de 1 million et plus de 600 marchés informels existent à travers le territoire national. Employant environ 2 millions de personnes (20% de la population active), notamment dans les secteurs de la distribution, de l'agroalimentaire, du textile et de la confection, l'économie informelle ou souterraine, couplée au phénomène de la corruption et du grand banditisme, représente sans conteste l'expression concentrée de la “valse- hésitation” des pouvoirs publics,---- parfois, à leur corps défendant, pour des raisons objectives (lutte contre le terrorisme, conséquences de l'ouverture brutale de l'économie..)--- non seulement dans leur incapacité à définir et mettre en ouvre une stratégie de développement et de relance de l'appareil productif national sans discrimination entre le public et le privé, mais également, de leur échec dans la construction d'un mode de gouvernance fiable et transparent. Dans un tel contexte, beaucoup d'observateurs estiment que la question de l'économie informelle est complexe et que les réponses apportées par les pouvoirs publics ne sont pas toujours évidentes. Ainsi, selon ces mêmes observateurs, l'entrée en vigueur de la mesure de paiement par chèque pour toute transaction supérieure à 500 000 dinars prévue pour le premier avril de l'année en cours, se traduira forcément par une augmentation généralisée des prix de l'ordre de 20%, du fait du poids des taxes et d'autres charges (Sécurité sociale… ) qui seront automatiquement répercutées dans la structure des prix de vente aux consommateurs, particulièrement ceux des produits de large consommation. Si cette mesure est souhaitable et salutaire, pour lutter légalement et fermement contre l'économie informelle, par notamment une bancarisation des transactions, assurant ainsi une traçabilité et une transparence des activités économiques et commerciales, tout en permettant au Trésor public d'engranger d'importantes recettes fiscales ( qui peuvent êtres orientées vers le soutien des prix des produits de première nécessité), elle n'est, cependant, pas accompagnée par une large campagne de communication et de sensibilisation des acteurs socioéconomiques concernés. Pour éviter toute flambée éventuelle des prix, des mesures adéquates devront être prises pour préserver le pouvoir d'achat des catégories les plus vulnérables de la société. Quant à la “traque” des petits marchands ambulants et itinérants, constituée d'une masse de jeunes désœuvrés et laissés-pour- compte (300 000 tables de jeunes vendeurs ambulants et environ 800 000 jeunes vendeurs itinérants), la réponse ne peut venir de la répression, car leur violente colère n'aura d'égale que l'immense douleur de leur indignation. Dans de telles conditions, il est aisé pour les barons de l'informel et de “l'import-import” de les instrumentaliser à des fins politiques.