Des enfants de chouhada, auparavant affiliés, chacun, à une de leurs multiples organisations, sont réunis à Ifri-Ouzellaguen. Le choix symbolique du lieu de rendez-vous présage d'une volonté de se réapproprier le sens du sacrifice paternel et de lui restituer sa vocation de repère pour l'orientation des générations d'après-indépendance. Il fallait, pour cela, que des descendants de martyrs, qui se perçoivent comme dépositaires de la mémoire de leur parent plus qu'héritiers de leurs droits sociaux, se résolvent enfin à libérer la mémoire de leur parent du marais politico-affairiste dans lequel beaucoup d'entre eux, réduits au seul statut rentier d'“ayants droit”, l'ont envasée. Telle est, semble-t-il, et si l'on en juge leurs premières déclarations, l'intention de ces fils de chouhada revenus sur le site du Congrès de la Soummam pour mieux renouer avec le véritable projet de la Révolution. Il se profile de leurs propos comme une volonté de pousser leur génération à retourner se ressourcer dans les valeurs qui ont fondé la rupture de Novembre 1954, conceptualisées par le Congrès de 1956 et, ensuite, indéfiniment trahies par les forces putschistes qui, depuis, font un usage privatif de la Révolution. L'initiative est d'autant plus remarquable qu'elle se manifeste dans un contexte où l'Etat rentier, menacé par un vent transnational de résurrection politique des peuples, tient la louche pendant que tout ce qui est organisé court à la soupe. Le pacte rentier entre les forces (qui auraient pu être) vives vient d'être poussé à son état caricatural : les unes après les autres, les corporations syndiquées de toute nature défilent à Alger pour piocher, tant qu'elles peuvent, dans une bourse soudain déliée au nom de la sauvegarde du régime. C'est le moment choisi par les participants à la réunion d'Ifri pour déclarer : “Nous devons nous démarquer de cette vocation qui consiste à faire de ces organisations des syndicats revendicateurs de biens sociaux. Nous déplorons l'état d'indigence et de délaissement dans lequel se trouvent nos organisations du fait de l'incapacité de leurs directions respectives. Comme nous demandons aux parties concernées de lever toute paternité ou tutelle à l'égard des enfants de chouhada, de les laisser décider librement de leur destin et de participer à la sauvegarde des libertés et au redressement du pays.” Il était temps que les descendants de martyrs s'émancipassent d'une conception rentière de leur statut que le pouvoir a toujours encouragée, négociant son empressement autour de “la famille révolutionnaire” contre le parrainage politique de leurs organisations, dressant parfois ces organisations contre les revendications d'autres courants et contre tout projet qui remet en cause le système rentier. Le système, dans sa funeste démarche de manipulation de la mémoire, a toujours tenté de diviser le peuple en “famille révolutionnaire” dont le patriotisme est génétiquement acquis et le reste des Algériens individuellement susceptibles d'infidélité à l'intérêt supérieur du pays. Entretenant les uns, pas toujours avec la sincérité qu'on croit, et complexant les autres, le pouvoir peut ainsi jouer sur la contradiction d'intérêts qu'il a volontairement créée. C'est pour cela que le dessein patriotique de la réunion d'Ifri, s'il se confirme, ne sera aisément mis en œuvre. Le régime a les moyens, notamment financiers, de contrarier les projets les plus salutaires et les plus tenaces d'assainissement politico-moral que les forces sincères viennent parfois à concevoir. Mais la difficulté ne doit pas nous empêcher de saluer pareille initiative : elle rappelle qu'il ne faille jamais désespérer de tous les Algériens. M. H.