Si la reconnaissance internationale lui est acquise, l'avenir du Sud-Soudan est sous le coup de deux menaces : un affrontement direct avec le Nord, une implosion interne due à des rivalités ethniques. Cinquante-cinq ans après l'indépendance du Soudan (1er janvier 1956), six ans après les accords de paix avec Khartoum (2005), le Soudan du Sud se sépare du Nord pour donner naissance à un nouvel Etat africain : le Sud-Soudan. Sur sa carte d'identité, il affiche un territoire aux contours pas toujours incontestés, et un gouvernement déjà installés. Les frontières du nouvel Etat avec l'ancienne capitale tutélaire, Khartoum, restent explosives. La zone indéterminée autour d'Abyei, une ville revendiquée par Khartoum et Juba, théâtre d'un violent affrontement au mois de mai, est toujours objet de litige. Le président soudanais a, d'ores et déjà, exigé le démantèlement de la force d'imposition onusienne stationnée entre les eux Etats et dont le mandat prend fin effectivement aujourd'hui, date de la proclamation officielle du Sud-Soudan. Le nouveau pays sera dirigé par le gouvernement de transition en place depuis 2005. Un gouvernement de 32 ministres qui partage le pouvoir avec la Chambre des députés et dirigé par le président, Salva Kiir. Sur le plan des symboles, les autorités du nouvel Etat n'ont pas cherché loin : le drapeau composé de trois bandes horizontales noir, rouge et vert, accompagné sur le côté d'un triangle bleu et d'une étoile jaune, ressemble à celui du Soudan. Par contre, l'hymne national en anglais, choisie à la suite d'un concours organisé au début de l'année 2011, établi le choix de la langue de Shakespeare comme langue nationale. Enfin, la monnaie en circulation ne change pas. L'idée d'en créer une nouvelle, un moment souhaité par l'élite politique et économique de Juba, ne s'est pas concrétisée. Pour être un Etat officiel, le Sud-Soudan doit être reconnu par ses pairs. L'Afrique du Sud a annoncé vouloir être l'un des premiers pays à le faire, l'Union africaine et l'Union européenne ont annoncé le faire tandis que c'est fait par les Etats-Unis qui ont joué le rôle capital dans le partage du Soudan. Pour autant, le nouveau pays n'est pas à l'abri de mille difficultés. La première est la construction d'un appareil d'Etat. Sur ce point, tout est à faire. Le Sud-Soudan ne dispose d'aucune infrastructure solide. La capitale, Juba, est une ville constituée essentiellement de cabanes et de routes défoncées, sans réseaux d'égouts, d'électricité et d'eau fiables. Dans cette ville de 300 000 habitants, les hôtels sont bâtis avec des conteneurs. Deuxième défi, ses relations avec Khartoum. Le conflit qui les oppose autour de la ville d'Abyei peut dégénérer en guerre ouverte si aucun des deux camps n'accepte de céder. En attendant, le président du Soudan, Omar El-Béchir, a déclaré jeudi vouloir se rendre à Juba le 9 juillet pour féliciter ses frères pour leur nouvel Etat. Les deux parties doivent fermer des plaies d'un demi-siècle d'une guerre qui a fait 2 millions de morts. Plus graves sont les risques liés à l'implosion interne de la société sud-soudanaise. En 2010, la province de Jonglei s'était déjà soulevée contre l'autorité de Juba. L'unité du Sud n'est qu'apparente. Depuis des générations, des conflits liés au bétail opposent les ethnies de la province. D'autre part, la domination de l'ethnie Dinka dans le paysage politique sud-soudanais est contestée par les autres. Avec plus d'un million d'armes en circulation dans le nouvel Etat, les conflits entre les individus, les villages et les communautés se règlent depuis 2005 à la Kalachnikov ! Selon un bilan de l'ONU, plus de 2 360 personnes ont été tuées dans ces violences depuis le début de l'année… Reste que lorsque le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, rejoindra officiellement aujourd'hui le club des ex-rebelles devenus chefs d'Etat, il devra vite compter sur eux pour le commerce, les investissements, et la survie-même du nouvel Etat africain. Pour les anciens chefs rebelles devenus présidents, l'Ougandais Yoweri Museveni et l'Ethiopien Meles Zenawi, la stabilité du Soudan du Sud impliquera un volume d'échanges et d'investissements de plusieurs milliards de dollars. Il en sera de même pour le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. Un retour à la guerre ou à un niveau important de violence entre le Sud et le Nord du Soudan serait un désastre économique et humain pour tous ces pays, qui auraient en outre à accueillir des centaines de milliers de réfugiés. Les pays d'Afrique de l'Est en sont conscients : leur tout nouveau voisin ne sera viable qu'avec leur aide, aussi se démènent-ils en coulisses pour éviter une reprise des hostilités. Juba dépendra de l'Ethiopie pour l'électricité et la sécurité, de l'Ouganda et du Kenya pour l'ouverture économique vers le reste du monde. Le Soudan du Sud est le principal débouché des exportations ougandaises, juste devant le Kenya. Les trois quarts des 500 000 barils de pétrole produits quotidiennement par le Soudan proviennent du Sud et le seul moyen immédiat de l'exporter sera d'utiliser l'oléoduc vers le Nord en payant des taxes. Pour réduire sa dépendance, le Sud prévoit de construire d'autres vers l'Ouganda et le Kenya. Un grand sujet de friction avec le Nord. Le Soudan du Sud, totalement enclavé, dépendra à la fois du Nord et de l'Afrique de l'Est.