Le Qatar vient d'infliger à l'Algérie un camouflet diplomatique qui laisse songeur. En refusant les visas aux Algériens, Doha vient de franchir un cap dans sa stratégie de construire un lobby qatari en Algérie qui a débuté bien avant les divergences sur l'affaire libyenne. Comment un micro-Etat pas plus grand que la wilaya d'Illizi de 200 000 autochtones, sans démocratie, sans partis politiques et sans Parlement veut “conquérir” les sphères d'influence au sein du pouvoir algérien ? Adossé à QIA (Qatar Investment Authority), le fonds souverain de plus de 700 milliards de dollars, Doha est en train de grignoter, petit à petit, les espaces d'influence en Algérie. Si les Algériens avaient misé sur les pétrodollars de l'Arabie Saoudite ou les investissements immobiliers des Emiratis au début des années 2000, c'est le Qatar qui est en train de se distinguer par une profusion d'investissements aussi discrets que malicieux afin “d'acheter” tout ce qui peut l'être dans un pays qui a une importance stratégique pour Doha. Si le MAE algérien a réagi avec une mollesse habituelle à cet affront diplomatique, c'est qu'aucun diplomate algérien n'oserait se mettre dans l'idée de critiquer un Emirat qui se targue d'être l'ami du… Président. Les liens d'amitié, supposés ou réels, entre ce dernier et l'émir Hamad Bin Khalifa Al-Thani sont tels que les Qataris se croient tout permis en Algérie C'est dans la région d'El-Bayadh que cet émir est venu directement de Zurich, après avoir arraché de manière douteuse le droit d'organiser la Coupe du monde 2022, pour chasser l'outarde algérienne. Il a été accueilli par un énorme gâteau de félicitations, et certains Algériens poussaient même la vanité à présenter le soutien de Zidane à la candidature qatarie comme étant un soutien algérien. Mais qu'est-ce qui fait que le Qatar soit aussi en vogue au sein du pouvoir en place ? Rien pourtant ne prédestinait l'Algérie à autant de sollicitudes à l'égard de cette monarchie. C'est le Qatar qui, à travers son GTL, a tenté d'affaiblir les capacités de négociations algériennes sur les prix du gaz. Alors que le bon sens commercial et stratégique commandait à Sonatrach de contracter une alliance avec le géant russe, Gazprom, afin de se présenter uni sur le marché européen du gaz. C'est le ministre qatari de l'Energie qui a tenté de saborder le Forum sur l'énergie d'avril 2010 à Oran en poussant à une indexation du prix du gaz sur celui du pétrole sous le regard approbateur d'un Chakib Khelil en disgrâce. Une demande américano-européenne qui a failli coûter cher à nos exportations de gaz en Europe. Le contrecoup a été que le Qatar a multiplié les attaques contre l'Algérie dans les conférences internationales en présentant notre pays comme trop risqué pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe et de ce fait fragiliser le potentiel économique algérien. Sur le plan de la propagande politique, Doha n'a pas, non plus, considéré que son “amitié” avec Alger pesait bien lourd quand la chaîne Al-Jazeera a pratiqué depuis sa création “un chantage médiatique” nauséabond contre une Algérie qui affrontait, seule, le terrorisme. Pas un seul JT ne passait sans que les journalistes d'Al-Jazeera — dont certains compatriotes grassement payés — n'aient cru bon de donner la parole aux Algériens qui subissaient les atrocités du GIA/GSPC mais préférant la donner aux bourreaux islamistes aussi bien qu'à des officiers félons qui déversaient leurs ragots sur l'armée algérienne et son commandement. Malgré son interdiction salutaire, Al-Jazeera n'a jamais cessé ses provocations, aussi bien en organisant des sondages comme celui d'avril 2007 : “Êtes-vous pour ou contre les attentats d'Alger ?” Une question qui aurait valu le TPI à son auteur ou encore quand les services de sécurité algériens ont saisi, en février 2011, 500 téléphones estampillés avec le logo de cette chaîne, distribués à des fauteurs de trouble qui visaient à filmer et envoyer instantanément des images à Doha. L'exemple syrien démontre actuellement que ce procédé peut suppléer efficacement à toute équipe de télévision d'Al-Jazeera. Même sur l'aspect le plus passionnel des Algériens qu'est le football, les Qataris, à l'image de ce qui se passe avec le PSG en France, ont gangréné les instances sportives algériennes. Encadrement qatari, convention avec l'institut médico-sportif d'Aspetare à Doha qui a la particularité de n'avoir jamais su soigner les blessures des joueurs algériens qui en sortent encore plus traumatisés, aide sans contrepartie de la FAF au Qatar au sein de la Fifa et même un projet secret de détection de joueurs algériens dans les championnats de jeunes pour les naturaliser qataris dans la perspective de la préparation de la Coupe du monde 2022. Et comme cela ne suffisait pas, nos meilleurs footballeurs à l'étranger quittent des clubs européens pour s'engager en masse avec le club qatari notamment celui de Lekhouiya avec deux joueurs et un entraîneur algérien. Mais c'est sur l'affaire libyenne que le Qatar a dépassé les bornes. À coup de centaines de millions de dollars, Doha est en train de financer et d'alimenter le CNT et ses différentes branches armées dont celle d'Al-Qaïda. Si Paris, qui a déjà vendu son âme à Doha — la classe politique française a abandonné Marrakech au profit de Doha —, largue des armes aux rebelles berbères du djebel Nefoussa, à 300 km des frontières algériennes, ce sont des avions qataris qui le lui permettent. Doha qui louche sur les réserves pétrolières d'un autre pays arabe, en l'occurrence la Libye, ne lésine ni sur la dépense ni ne s'interroge sur l'identité des rebelles de Benghazi, dont la majorité est d'obédience salafiste ou liés aux frères musulmans égyptiens ou à Aqmi. L'ANP qui tente de faire au mieux pour endiguer l'exceptionnel déferlement d'armements et de munitions depuis les frontières libyennes et qui ont permis à Aqmi de constituer un arsenal impressionnant au Sahel. Et on s'étonne encore qu'Aqmi redouble de férocité en Kabylie, dopée par des achats d'armes massifs. L'attitude du Qatar dans la région subsahélienne peut être considérée comme belliqueuse, voire même arrogante quand elle envoie encore des émissaires à Alger pour faire l'apologie du CNT. Une attitude ayant des répercussions directes sur la sécurité intérieure du territoire algérien. Pour moins que cela, l'Algérie avait fait la guerre au Maroc.