Le président Bouteflika a botté en touche concernant le projet de loi organique relatif aux partis politiques. Un cocktail de propositions qui vise à rassurer les partis et à ne pas mécontenter l'administration. Le texte du Conseil des ministres prévient d'emblée que ce projet a pris en compte “les propositions pertinentes” des participants qui ont défilé devant la commission Bensalah en juin dernier mais ne précise pas si cette commission a également pris en considération les propositions écrites des personnalités qui avaient décliné l'invitation. Cette remarque entérine le fait que le Président algérien a tranché en vertu de la décision collégiale. Une manière comme une autre d'anticiper les critiques à venir. Et il y en aura. Mais examinons de près ce projet de loi qui se veut une remise à plat de 21 ans d'exercice chaotique de la politique partisane marqué par des partis implosés pour la plupart, déstructurés, gangrenés par l'argent ou simplement privés d'exercice. L'agrément par le silence Sur l'éternelle question de l'agrément, le gouvernement semble n'avoir pas pris en compte l'inflation des partis politiques, notamment satellitaires du pouvoir, car rien ne prévoit une révision des statuts organiques des partis politiques. Pire que cela, le projet indique que dorénavant un parti est agréé par le… silence de l'administration : “Le silence de l'administration au-delà des délais équivaudrait à un agrément”, soit 60 jours. Cela suppose que Sid-Ahmed Ghozali et Amara Benyounès qui attendent que leurs dossiers d'agrément de partis soient examinés depuis des années sont autorisés, de facto, dès l'approbation de ce texte par l'APN et le Sénat. Mais cette gestion étrange par “le silence” est assortie d'un avertissement qui implique le droit que s'octroie l'administration, c'est-à-dire le ministère de l'Intérieur, de refuser l'agrément : “De même, tout refus des pouvoirs publics à une étape ou une autre de la constitution d'un parti, ouvre droit à recours devant le Conseil d‘Etat, dont la décision sera définitive.” En clair, le département de Daho Ould Kablia peut plomber un dossier quand il le veut mais avec une nouveauté qui érige l'arbitrage comme mode de fonctionnement. Le conseil d'état seul arbitre du jeu politique Ainsi, le Conseil d'Etat est mis en première ligne pour valider ou rejeter les agréments qui divisent partis et administration. Le même conseil, érigé en juge de paix ou tribunal de conflits, qui sera sollicité en cas de “contentieux ou conflits susceptibles de se produire entre l'administration garante du respect de la loi et de l'ordre public d'une part, et un parti politique agréé, d'autre part (…) Dans de tels cas, toute mesure conservatoire prévue par la loi ouvre droit à un recours devant le Conseil d'Etat, ce dernier devant, dans toutes les situations, se prononcer dans un délai maximal de 60 jours”. Reste à régler un problème de fond qui consiste à savoir quelles garanties ont les partis politiques que cette juridiction soit indépendante de l'Exécutif et ne se soumet pas à sa volonté ? Rien du tout, surtout dans un système centralisé où les juridictions administratives exécutent plus qu'elles ne tranchent de manière équitable. Plus de FIS ou de partis clonés Autre point qui équivaudrait à une ligne rouge républicaine mise en place par le gouvernement. Le président Bouteflika veut maintenir, du moins par les textes, un sas de sécurité pour l'Etat et protéger la Constitution. Ainsi, le Conseil des ministres explique que “s'agissant de la préservation des droits de la collectivité nationale, le texte prévoit, notamment des dispositions à même de prévenir la réédition de la tragédie nationale, de prohiber toute remise en cause des libertés fondamentales, de consacrer le caractère démocratique et républicain de l'Etat”. Ce que les observateurs peuvent déduire est qu'il est impossible, au terme de cet avertissement, qu'il y ait un retour de l'ex-FIS sur la scène politique. Qu'il soit rebaptisé, reconstitué ou remodelé dans une forme hybride, si l'application de ce texte est rigoureuse, aucun parti islamiste menaçant l'ordre républicain ne peut plus être agréé ou autorisé, voire même toléré. Il en est de même pour l'argument de “préserver l'unité nationale, l'intégrité du territoire, l'indépendance nationale, ainsi que les éléments constitutifs de l'identité nationale”. Un leitmotiv classique en pareil cas mais qui prend plus d'acuité au regard des menaces séparatistes du MAK en interne, ou les troubles provoqués dans le Grand-Sud par le CNT libyen, en externe. La fin des mouvements de redressement ? Enfin, et ce n'est pas le moins inintéressant, le gouvernement s'engage à protéger les partis politiques contre les “mouvements de redressement”. Cela n'est pas dit explicitement mais la promesse du pouvoir politique que “le projet de loi n'autorise aucune interférence dans l'organisation interne des partis politiques et se limite à énoncer l'obligation pour les statuts de ces derniers de fixer des règles démocratiques pour régir leur fonctionnement” est en soi un aveu que ces pratiques de scissions et divisions provoquées au sein des partis étaient des alternatives courantes pour affaiblir telle ou telle formation politique. Et de conclure que l'Exécutif se réserve le droit de “lutter contre toute forme de corruption dans la vie politique”. Mais à l'ère où des élus achètent des sièges de députés, cette intention mérite à elle seule un autre projet de loi tant l'argent a gangrené les mœurs politiques.