Il y a un problème de valeur. Ce qui favorise la fraude. Coincées entre l'impératif d'adhésion à l'Omc avec obligation de souplesse et les facilitations en faveur des opérateurs, les douanes algériennes reviennent encore une fois aux devants de la scène autour d'une complexité avérée liée au traitement de la valeur déclarée. L'institution douanière engagée en première ligne de front pour la sauvegarde de l'économie nationale semble, à la lumière des dernières affaires, notamment celle des réfrigérateurs facturés à 20 euros l'unité, confrontée aux épineuses questions : quelle attitude adopter face à une potentielle fausse déclaration de valeur qu'elle soit en minoration ou majoration sur tel ou autre produit ? comment déceler la fraude sur ce chapitre ? Et surtout, question fondamentale, quels seraient les outils dont devrait disposer l'officier des douanes pour être à même d'apprécier les facturations et dossiers à traiter ? Le débat est plus que d'actualité, notamment au sein de l'enceinte douanière du port d'Alger, où se traite le plus important flux commercial du pays, qui connaît ces derniers jours une ambiance particulièrement chargée d'inquiétude et d'appréhension, où toutes les supputations circulent, comme nous l'attestent diverses sources au fait de la situation. Pour rappel, pas moins de 17 inspecteurs liquidateurs sur les 40 qui activent dans cette structure ont été mis sous contrôle judiciaire, alors que quatre autres fonctionnaires ont été placés sous mandat de dépôt après une longue enquête de la gendarmerie nationale, qui a déjoué les desseins d'une société fantôme qui s'apprêtait à importer pas moins de 59 500 réfrigérateurs en fausse déclaration de valeur manifestement minorée, soumettant ainsi la production locale à subir une rude et déloyale concurrence. “Désormais, la tâche des inspecteurs liquidateurs sera difficile face à chaque dossier d'importation présenté. La prudence sera de mise d'autant que l'inspecteur traite quotidiennement plus de 40 dossiers. Cela se traduira par des retards et l'encombrement coûteux des marchandises et des navires”, nous signale une autre source proche des syndicats des douanes sous le couvert de l'anonymat. Concrètement et devant chaque dossier, nous explique-t-on, l'inspecteur applique la circulaire 11, un outil de travail interne qui lui permet soit de prévoir un redressement de l'opérateur quand celui-ci reconnaît la fausse déclaration, soit de libérer le dossier et de laisser la marchandise, avec cependant l'établissement de la procédure de contrôle a posteriori inscrite dans le cadre des facilitations douanières. Cette dernière faisabilité est matérialisée par ce qui est appelée le bulletin 195 adressé en principe aux services de lutte contre la fraude, qui se chargeront de procéder au contrôle a posteriori. Avant toutes ces démarches, il y a lieu de soulever la question relative aux barèmes sur les cours et les prix et, surtout, sur l'échelle de valeur sur chaque produit et sur laquelle devrait s'appuyer l'appréciation des facturations. La problématique reste posée au lendemain de l'abolition de la fameuse valeur administrée, dont la disparition semble plutôt créer paradoxalement des difficultés à l'institution qui prône pourtant des facilitations certaines. Y a-t-il un vide sur la valeur ou existe-t-il des références à observer ? il arrive souvent, nous dit-on, que pour le même produit de la même origine, deux importateurs différents présentent des factures ou les valeurs déclarées sont loin d'être comparables. Et, dans ce cas, que prévoit la réglementation ? C'est dire l'urgence d'une clarification sur ce chapitre car en ce moment les “retards dans le traitement des dossiers avoisinent les 25%”, du fait de la nouvelle attitude extrêmement prudente adoptée par les fonctionnaires en charge de la délicate mission. Pour l'exemple, des opérateurs nous ont indiqué que le lait en poudre émanant de la maison Nestlé, commercialisé en Algérie sous les marques Gloria et Nespray, sont assujettis ces derniers temps à la valeur minimum de 40 euros le carton de 12 kg, alors qu'il serait acheté par les importateurs à 30 et 33 euros. Il y a là, assurément, un risque majeur de fuite de capitaux quasiment imposée, car la différence entre les prix restera dans des comptes à l'étranger. On se rappellera également la fameuse histoire de l'eau minérale importée à l'époque de la valeur administrée où le produit de qualité douteuse en provenance de la Corse était administré à l'équivalent de 200 da le litre, entraînant un transfert irrégulier de devises que l'absurdité des textes a rendu possible et réglementaire. Une autre nouvelle donne vient également faire irruption dans les mœurs commerciales. En effet, on nous signale que des importateurs ont préféré réexporter leur marchandise plutôt que d'accepter de se voir subir un redressement. Ils ont maintenu que les prix affichés sur leur facture étaient réels, contrairement à ce que pensaient les douaniers. Au-delà, c'est l'approvisionnement qui se trouve perturbé. La complexité de la question de valeur en douanes a pourtant été un centre d'intérêt d'une commission relevant des structures douanières qui a, nous assurent nos sources, finalisé son travail au mois d'avril dernier. Entre-temps, le flux commercial s'est accru et la liberté de commerce consacrée par les principes de l'économie de marché impose une reconsidération de ces questions. La maîtrise de la valeur dans ces deux sens, à la majoration comme à la minoration, est garante d'une lutte certaine contre les fuites de capitaux, d'une part, et contre le risque de concurrence déloyale, d'autre part. Mais avant ces facilitations pour l'économie, il serait aussi opportun d'harmoniser le système interne et d'accorder la facilitation aux douaniers. Cela aussi est une tout autre valeur, jusque-là insoupçonnée ! A. W.