Comme à chaque rendez-vous électoral, la sempiternelle question du nombre des électeurs se pose avec acuité. Entre les pouvoirs publics qui ne s'encombrent guère de l'arithmétique des chiffres et la classe politique suspicieuse, qui y perçoit souvent “le gisement de la fraude”, la vérité n'est visiblement pas près d'être établie. Une situation, convenons-en, qui n'est pas de nature à lever les soupçons sur les velléités de fraude dont on accable aujourd'hui l'Exécutif. Après avoir avoué, il y a quelques jours devant les membres de la commission juridique de l'assemblée, lors de l'examen de la proposition de loi portant révision de la loi électorale initiée par le MRN qu'il “ne disposait pas encore de chiffres” et que “les chiffres avancés par le passé n'étaient pas conformes à la réalité”, le ministre de l'intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni vient d'annoncer devant les journalistes, en marge de la visite de Bouteflika avant-hier, à Alger, le chiffre de 17,5 millions d'électeurs. Soit une progression de quelque 773 000 électeurs comparativement aux élections locales du 10 octobre 2002. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le chiffre avancé par le représentant de l'Exécutif est sensiblement le même que celui relevé par la Conseil constitutionnel en…1999. Dans ses délibérations du 20 avril 1999, l'institution présidée par Saïd Bouchaïr notait, en effet, que le nombre d'inscrits au scrutin était de l'ordre de 17 488 759. Autre incongruité qui ne manquera certainement pas d'alimenter la polémique : “l'évaporation” de près de 400 000 électeurs par rapport aux élections législatives du 30 mai 2002, où le nombre était de 17 981 042 inscrits. Si à l'évidence, le corps électoral obéit à des fluctuations (disparitions, exil…), il n'en demeure pas moins que le chiffre de Zerhouni paraît invraisemblable pour au moins une raison : il représente près de la moitié de la population, alors que la norme mondiale établit que les électeurs représentent en général entre 30 et 40% de la population. Mais à vrai dire l'opacité qui entoure la taille exacte du corps électoral ne date pas d'aujourd'hui. Déjà, lors de l'élection présidentielle de 1995, les formations politiques s'étaient insurgées contre le chiffre de 15 969 904 avancé par le ministre de l'intérieur de l'époque, Mostefa Benmansour, comparé à celui des élections législatives avortées de 1992 et qui était de l'ordre de 12,5 millions. Les mêmes soupçons avaient été suscités, lorsque le même ministre avait annoncé le chiffre de 16 773 087 pour les élections législatives de 1997 marquées par une fraude sans commune mesure dans l'histoire des scrutins. Cependant, en dépit des “appréhensions” et des “doutes” de la classe politique, force est d'admettre que le corps électoral a respecté une “certaine logique” durant la décennie 1990, puisque la courbe est ascendante. Tel n'est pas le cas depuis 1999. C'est dire donc que durant ces dernières années, Yazid Zerhouni aura réussi à “accentuer la suspicion”. En refusant d'établir un fichier électoral dans la transparence, les autorités sont-elles dans l'incapacité de le faire ou l'utilisent-elles comme une “cagnotte de la fraude”, pour reprendre une expression d'un leader politique ? Déjà en marge de l'ouverture de la session d'automne, l'an passé, un “lapsus” de Zerhouni avait provoqué un véritable tollé. Il avait affirmé que le corps électoral a été ramené de 17 à 14 millions. Des affirmations qu'il avait vite démenties lors d'une conférence de presse tenue le 9 septembre de la même année à l'hôtel El-Aurassi, en défiant les journalistes présents de lui ramener la cassette. À la veille de l'échéance présidentielle, un rendez-vous capital, du reste, la question du corps électoral va encore empoisonner les débats de la scène politique. À moins que la sortie de Zerhouni ne participe d'une volonté de provoquer la diversion pour détourner les regards sur l'exigence du départ de l'Exécutif, tel que revendiqué par l'écrasante majorité des candidats. K. K. Le Corps électoral depuis 1992 - Législatives décembre 1992 : 12,5 millions d'inscrits - Election présidentielle, novembre 1995 : 15 969 904 - Législatives juin 1997 : 16 773 087 - Présidentielle 1999 : 17 488 759 - Législatives 30 mai 2002 : 17 981 042 - Locales 10 octobre 2002 : 16 726 268