Notre interlocuteur estime que l'Etat ne devrait pas avoir “cette frilosité". Bien au contraire, il devrait, selon lui, mobiliser toute son intelligence pour organiser la régulation de ce champ médiatique, à travers la loi et le cahier des charges. Parler de l'ouverture du champ audio-visuel nous amène à interroger ceux qui connaissent bien ce domaine, pour y avoir exercé durant toute leur carrière. Amar Bekhouche est de ceux-là. Avec vingt-sept ans d'expérience au sein de l'ENTV où il a débuté en tant que rédacteur-présentateur en 1975, jusqu'à devenir le directeur de l'information sous les commandes du défunt Abdou Benziane, Amar Bekhouche a accompagné tous les bouleversements de la Télévision algérienne et a contribué à “la parenthèse démocratique" opérée au début des années 1990 au 21, boulevard des Martyrs. Une carrière qu'il entamera sur les chapeaux de roues, en effectuant des reportages au Sahara Occidental au lendemain de la fameuse “marche verte". Il gravira ensuite tous les échelons de responsabilité, le tout ponctué de deux formations au Canada et en Jordanie, tout en continuant à militer pour la liberté de la presse et les droits des journalistes. Il sera parmi les fondateurs du Mouvement des journalistes algériens (MJA) en 1988. Actuellement, il occupe le poste de chargé de la communication au Conseil de la nation. Mais, c'est à titre d'ancien journaliste de la télévision et d'ancien responsable dans ce média lourd qu'il nous livre ici son analyse de l'ouverture annoncée du champ audio-visuel. Une ouverture “annoncée plusieurs fois, qui se fait désirer", selon ses propos. Pour lui, l'ouverture du champ audiovisuel ressemble à “une naissance par césarienne". Il estime que “sur le plan médiatique, cette ouverture est effective, mais pas encore sur le plan pratique". Pour Amar Bekhouche, “il faudrait la promulgation de la loi sur l'audiovisuel, l'élaboration d'un cahier des charges et la mise en place de l'organisme de régulation de ce secteur". À la base, selon lui, “il faudrait fixer les contours de cette ouverture, notamment en fixant les devoirs et les obligations des pouvoirs publics et des acteurs et investisseurs potentiels publiques, privés ou institutionnels dans ce domaine". Tout en regrettant les retards pris dans cette ouverture, notre interlocuteur fera remarquer que le monde entier, sauf la Corée du Nord peut-être, a ouvert son champ audiovisuel. L'Algérie reste à la traîne. Pourtant, rappelle-t-il, notre pays était parmi les précurseurs en la matière. En 1974, l'Algérie a été parmi les rares pays au monde à utiliser le satellite à des fins “domestiques" pour assurer la couverture de l'ensemble du territoire national, notamment le Grand-Sud, car le signal terrestre jusqu'en 1975 ne dépassait pas les plaines de la wilaya de Laghouat au Sud. Techniquement, le signal est envoyé de la station terrienne de Lakhdaria vers Eutelsat puis renvoyer vers une trentaine de stations terrestres réparties à travers le sud du pays. Amar Bekhouche nous racontera une anecdote concernant la transmission et réception par satellite : en octobre 1981, lors des éliminatoires pour la Coupe du monde 82, le match aller entre le Nigeria et l'Algérie, qui se déroulait à Lagos, devait être transmis par le satellite américain, comme d'habitude, mais l'assassinat du président égyptien Anouar Sadate a obligé les Américains à louer tous les faisceaux aux chaînes de télévision américaines qui couvraient cet événement. L'Algérie a dû faire appel au satellite russe Inter-spoutnik qui se trouvait sur l'océan Indien pour retransmettre en direct le match gagné pour l'histoire 2-0 par l'Algérie. L'âge d'or de la Télévision algérienne Retraçant l'évolution de la Télévision algérienne sous le système du parti unique, Amar Bekhouche dira qu'il y avait, quand même, des émissions de bonne qualité. Mais il constatera qu'avec l'arrivée des chaînes satellitaires et l'invasion du ciel algérien, le pays est devenu le plus “parabolé" du monde. Evoquant, avec une pointe de nostalgie, mêlée à de la fierté, “l'âge d'or" de la Télévision algérienne, il racontera comment, avec un groupe de jeunes journalistes, fraîchement diplômés de l'université, la télévision s'était ouverte à l'expression plurielle, que ce soit les partis, les syndicats ou les associations. “Il y avait un grand vent de liberté d'expression, parfois maladroit, parfois brusque, mais il y avait un bouillonnement et le citoyen se reconnaissait dans ce nouveau paysage. La Télévision algérienne a même envoyé un journaliste couvrir la chute du mur de Berlin." Mieux encore, durant cette période, il a été décidé l'ouverture de la Télévision algérienne H/24 et le lancement d'un JT de la mi-journée de 13h pour suivre l'évolution de la guerre du Golfe au lendemain de l'invasion du Koweït par l'Irak. La Télévision algérienne s'était illustrée par l'envoi de cinq correspondants, l'un à Bagdad, quatre autres autour du théâtre de l'événement et le JT de 20h de Kamel Alouani et Khadidja Benguenna ouvraient avec des envoyés spéciaux : 1- Bagdad (Ammar Chouaf, Smaïl Yefsah), 2- Dahran (Farouk Belagha), 3- Amman (Mohamed Soufi), 4- Téhéran (Malek Djaout), 5- Diar Bakr – Turquie (Allaoua Bouchlaghem). Avec ça, les téléspectateurs algériens n'avaient pas besoin d'aller s'informer ailleurs. Cette couverture sera mémorable, au point où le roi Fahd d'Arabie Saoudite a dû installer une parabole dans son palais pour suivre la couverture de la Télévision algérienne, même s'il ne partageait pas la même position. D'ailleurs, c'est cette couverture qui l'aurait décidé à créer la chaîne MBC à partir de Londres. Le guide libyen interrompait les programmes de sa chaîne nationale à 20 heures pour diffuser les JT de la Télévision algérienne. Avec une pointe d'amertume, Amar Bekhouche reconnaît : “Nous avons raté un virage important alors que nous étions en avance par rapport à tout le monde." D'autant plus que les années du terrorisme n'allaient pas plaider en faveur de la poursuite de cette ouverture. Bien au contraire, le pouvoir s'est refermé sur lui-même, les organismes de régulation de la presse (Haut-Conseil de l'information) ont été suspendus. Le pouvoir a fait machine arrière et a confisqué les prérogatives des tâches des instances paritaires qui avaient la charge de gérer la communication en l'absence d'un ministère de l'Information. Pour Amar Bekhouche, “au lieu de consolider le mouvement d'ouverture, le pouvoir a choisi de faire machine arrière". Il estime que le pouvoir n'avait pas de stratégie, considérant la Télévision nationale comme un simple organe, semblable aux corps constitués, “ce qui intéressait les responsables c'était leur place dans le premier quart d'heure du journal télévisé de 20 heures. Le reste les intéressait peu". Une ouverture pas si simple que ça ! Revenant sur le sujet de l'ouverture du champ audiovisuel, notre interlocuteur estimera que l'Etat ne devrait pas avoir “cette frilosité", bien au contraire, il devrait, selon lui, mobiliser toute son intelligence pour organiser la régulation de ce champ médiatique, à travers la loi et le cahier des charges. Tout en regrettant le fait d'avoir mis beaucoup de temps à faire des effets d'annonce, avant de présenter un projet de loi consacrant l'ouverture du champ audiovisuel, Amar Bekhouche dira que la loi sur l'information de 1990 comportait un volet relatif au champ audiovisuel, “il suffisait de mettre en place les textes d'application". L'actuelle loi organique de l'information, adoptée dans le sillage des réformes politiques, stipule que l'ouverture du champ audiovisuel se fera à travers une loi spécifique. Or, ce que beaucoup n'ont pas soulevé, c'est que cette loi organique évoquait clairement qu'en termes d'ouverture, il était question de chaînes thématiques. Au moment où le projet de loi sur l'audiovisuel est en passe d'être débattu au Parlement, la question rebondit. Pour Amar Bekhouche, on ne peut prévoir, dans la loi sur l'audiovisuel, des dispositions qui seraient contraires à la loi organique. Donc, la question des chaînes thématiques est déjà tranchée, du moins pour le moment, sachant que si l'on veut passer outre, il faudrait changer la loi organique, avant de songer aux textes d'application. Cela étant, le législateur algérien, selon Amar Bekhouche, n'a pas précisé la définition et les domaines des chaînes thématiques. Les rédacteurs de cet article avaient peut-être une arrière-pensée : empêcher les futures “télévisions privées" à faire de l'information. Or, une chaîne d'informations est une chaîne thématique. Amar Bekhouche reste sceptique : “Lorsqu'on sait que la loi organique a prévu l'installation d'organes de régulation pour la presse écrite, par exemple, l'on constate que, deux années après, rien n'a été fait en raison, entre autres, de l'absence d'un cadre organisé de la corporation pour permettre la désignation ou l'élection des représentants de la corporation au sein de cet organisme. En plus, la loi sur l'audiovisuel est censée être mise en application par la création de l'organe de régulation du secteur qui sera mis en place. Cela devrait prendre encore du temps, combien de temps ? avant que les choses ne se précisent". Mais notre interlocuteur évoque un autre écueil, et non des moindres, qui risque de gêner l'éclosion de ces nouvelles chaînes : le monopole de la TDA en matière de télédiffusion. Selon lui, cette entreprise nationale pourrait prendre en charge, au maximum, une quinzaine de chaînes de télévision durant les cinq ans à venir. Donc les places seront chères. Pour Amar Bekhouche, l'ouverture du champ audiovisuel devrait prendre en compte la redynamisation de la télévision publique et la consolider, “elle a les assises, les compétences, mais il faut qu'elle soit ouverte à tous les points de vue, qu'elle prenne en compte les doléances et les aspirations des citoyens". Il estime que si les chaînes privées seront thématiques, le mieux serait qu'elles s'ouvrent davantage au volet culturel, au regard de la diversité du patrimoine national, mais aussi histoire d'alléger un peu la programmation de la chaîne publique qui fait un peu de tout. En attendant, force est de constater que les chaînes privées qui se sont lancées depuis plus d'une année, “probablement pour avoir une certaine longueur d'avance par rapport à celles qui vont venir", sont considérées comme des chaînes étrangères et, par voie de conséquence, soumises aux lois étrangères, même si elles bénéficient d'un agrément pour travailler en Algérie. Mais cela pose beaucoup de problèmes, selon Amar Bekhouche, notamment en ce qui concerne les droits d'auteur, les domaines de la publicité, la législation du travail, les droits de douane. Il précise, par ailleurs, que bien que ces chaînes d'identité “nationale" et de droit international ont apporté une certaine dynamique et fraîcheur au paysage audio-visuel national, elles n'échappent pas parfois à des dépassements que la réglementation aurait pu empêcher. “Actuellement, il y a des énormités qui passent dans ces chaînes privées, comme cette fille mineure victime d'inceste et qu'on a passée à visage découvert. Nulle part ailleurs, on autorise ce genre de pratiques ! Ou une autre chaîne qui apparemment s'est spécialisée dans le dédouanement des anciens chefs politiques et militaires du terrorisme en leur ouvrant les colonnes des journaux et les plateaux de leur chaîne privée." Il ajoute qu'il est nécessaire de tirer toutes les leçons de l'expérience de jeunesse de la presse écrite et veiller à ne pas donner les arguments aux conservateurs pour combattre l'ouverture audiovisuelle qui reste une nécessité vitale. Notre interlocuteur reste, toutefois, sceptique quant à la fiabilité de ces chaînes, car même si elles seraient thématiques, il ne leur sera pas facile de concevoir et surtout de financer une grille de programmes, sachant qu'en matière de chaînes thématiques, les bouquets satellitaires en regorgent. Vouloir leur faire de la concurrence relèverait de l'utopie, lorsqu'on sait les moyens qu'il faut, par exemple, pour lancer une chaîne sportive. Car on imagine mal une chaîne sportive privée se contenter des rediffusions, sachant qu'elle doit payer le prix fort si elle voudrait s'acheter les droits de retransmission des matches de championnat national et que, par la suite, il faudrait qu'elle fructifie cet investissement. La majorité des chaînes satellitaires fondées dans le monde arabe ont eu comme noyau des Algériens, pas seulement des journalistes, mais aussi des techniciens et des ingénieurs. Et il serait intéressant de prendre en compte leur expérience et leur savoir-faire pour le lancement de nouvelles chaînes. L'Algérie dispose d'une expérience, souvent citée en exemple de par le monde, en matière d'ouverture de la presse écrite. Avec ses qualités et ses tares, cette expérience devrait servir de base de départ pour l'ouverture de l'audiovisuel. A B Nom Adresse email