Dans le quartier général de l'US Air Force, les forces aériennes américaines, un des plus secrets d'Europe, vous allez probablement croiser le général Carlton Everheart, vice-commandant de la 17e division et sa grosse bague Jostens Classic au doigt ! Mais également des soldats femmes qui vendent des cookies à l'entrée pour Noël. Bienvenue dans une armée de paradoxes. Ramstein. Dans la région de Kaiserslautern, nous voici dans la base aérienne de l'US Air Force en Europe. En réalité, pas une base mais une petite ville où vivent pas moins de 25 036 militaires et 22 468 membres de leurs familles. Si l'on y ajoute les 10 524 civils qui s'y rendent chaque matin pour travailler, on imagine pourtant la ruche que peut représenter le "Boufarik" américain. Pour être plus explicite, aucun avion ne décolle depuis la frontière russe jusqu'en Afrique du Sud, sans que les radars de l'US Air Force ne le détectent. Cette base sert à contrôler le ciel et le ciel ne peut qu'être américain. Ramstein couvre 116 pays. Et depuis que la guerre se gagne pratiquement que par les airs, l'US Air Force se plaît à se définir, comme le dit le commandant Gonzales, "un fils qui a quatre pères". Car tout le monde sollicite les chasseurs, les bombardiers ou les avions cargos de Ramstein. Le Pentagone évidemment, mais aussi l'Eucom (forces US en Europe), l'Africom, et bien sûr l'incontournable Otan, qui s'est spécialisée depuis les Balkans jusqu'en Libye par le concept connu du no fly zone. Mais revenons au général Everheart qui lisait consciencieusement les éléments de langages de son bureau des affaires publiques, mettant un accent particulier à expliquer que l'Algérie est un "grand pays et un grand partenaire" et que les "aviateurs algériens sont des gens qui savent trouver des solutions inédites à tous les problèmes. Ils ont démontré de tout temps leur compétence dans la reconnaissance, la surveillance et le contrôle ainsi que dans la contre-intelligence". Le militaire américain poussera la flatterie jusqu'à nous inviter, nous journalistes, à l'interpeller lors de sa prochaine visite en Algérie, prévue en avril 2014, pour rencontrer le commandant des forces aériennes algériennes, le général-major Abdelkader Lounès. On n'aura pas le temps de lui expliquer que, probablement, le général de corps d'armée, Gaïd Salah, ne nous conviera pas et qu'il est un peu nerveux quand on lui parle de la presse ces derniers temps, et voici notre général qui prend congé. Après son intermède médiatique, les choses sérieuses reprennent. Ce jour-là, des avions de l'US Air Force transportent des troupes africaines pour les déposer en... Centrafrique. Ramstein est d'un calme effrayant. Les bâtiments semblent inhabités, loin de l'image caricaturale d'une base aérienne en effervescence. Au loin, sur le tarmac, la silhouette de 4 immenses C-17 Globemaster III de Mc Donnell Douglas (racheté par Boeing), dernier-né des avions de transport, qui s'apprêtent à décoller. Pour le prix catalogue, il faut compter 250 millions de dollars l'unité pour ce monstre en acier. L'Otan en possède, mais aussi le Canada et le Qatar. Et pour en vendre, les militaires de la base peuvent se transformer en VRP. On visite le Hercules C-130 J, dernière génération, qui est mise à prix à 74 millions de dollars. Après une visite détaillée du bébé, on nous expliquera, en creux, toutes les difficultés financières qui existent à monter, dorénavant, des opérations pour l'Africom. Le shutdown, la cessation de paiement du gouvernement, a coupé les ailes de l'US Air Force affectée à l'Africom au point que ce qu'ils appellent les APF, le partenariat aérien avec l'Afrique, a dû être annulé cette année. Mais la morosité financière qui affecte Ramstein et les autres bases militaires US n'a pas entamé le moral des troupes. Du moins en apparence. à Ramstein, on découvre l'envers du décor. Celui qui rend l'armée américaine davantage qu'un corps combattant, un corps cohérent. Même en l'absence de dollars suffisants, l'Africom s'adapte tant bien que mal en faisant jouer le patriotisme à tous les étages. Les heures supplémentaires pour les civils ne sont plus payées ou ont été supprimées. Qu'à cela ne tienne, les militaires sont affectés à des tâches administratives civiles. Sur tous les supports possibles, on trouve une maxime patriotique. "We proudly serve" (nous servons avec fierté) sont inscrits sur des gobelets de café. Sur les écussons des infirmières du 861 groupe médical aéroporté on peut lire "Always Ready" (toujours prêts). Et sur le journal des armées Star and Sripes, un supplément (financé par Boeing !), présente les histoires d'"héroïsme" des Marines en Irak ou en Afghanistan. L'austérité financière, avec ses conséquences des soldes plus modestes, couplée au fait que les enfants des pontes de la politique (Congrès et Sénat) ne choisissent plus l'armée pour faire carrière, font que l'engagement des jeunes Américains dans l'armée a faibli. Du moins, il n'est devenu une opportunité que pour les jeunes des classes pauvres et peu éduquées. Du coup, l'armée doit gérer de nouvelles addictions venues du monde civil, encadrer des recrues très jeunes et affronter des problèmes comme la drogue, l'alcool, les jeux vidéo ainsi que de nombreux cas de suicide dans les rangs. Des fléaux sur lesquels l'armée américaine communique sans complexe, privilégiant la prévention par la communication à la prévention par l'argent. Il n'y a que l'addiction aux cookies qui ne semble pas être considérée comme un fléau. M. B. Nom Adresse email