Il faut croire que l'émotion provoquée, au début de cette année 2013, par l'enlèvement et l'assassinat des deux enfants de Constantine a profité au pouvoir politique. Ce dernier avait eu l'occasion inespérée pour, simultanément, contenir l'effervescence qui avait gagné la population - à la suite de ce double meurtre - et neutraliser le mécontentement engendré par les nombreux scandales qui ont émaillé la vie politique nationale (Sonatrach, autoroute est-ouest, etc.). Une colère grandissante qui s'était immédiatement cristallisée sur le tragique événement de Constantine. Le lecteur se souviendra que de nombreuses voix s'étaient élevées, certaines pour exiger "le châtiment le plus sévère", d'autres pour réclamer la pendaison des coupables sur la place publique ou encore leur lapidation jusqu'à ce que mort s'ensuive. L'émotion avait obscurci la raison. En écho, le Premier ministre était monté au créneau pour demander un "durcissement des peines contre les criminels" et - pour être en phase avec l'émoi qui s'était emparé de la société - le précédent ministre de l'Intérieur avait, quant à lui, évoqué l'hypothèse d'un réaménagement de la loi pour punir cette nouvelle forme de délinquance. L'opinion publique avait été détournée de son pénible quotidien et... des affaires de corruption. Aujourd'hui, le pouvoir tient sa promesse. Il vient de faire voter, par l'Assemblée nationale, une disposition de loi spécifique - l'article 293 bis - au délit d'enlèvement suivi de sévices et/ou de l'assassinat des enfants. Une disposition qui stipule que "quiconque par violence, menaces, fraude ou par tout autre moyen, enlève ou tente d'enlever un mineur de moins de 18 ans est puni de la réclusion à perpétuité. Si la personne enlevée a été soumise à des tortures corporelles ou si l'enlèvement avait pour but le paiement d'une rançon ou si la victime décède, le coupable est passible de la peine prévue à l'alinéa premier de l'article 263 du présent code". Est-il nécessaire de rappeler aux lecteurs que l'article 263 prévoit la peine capitale pour ce type de crime ? L'Etat apporte ainsi une fausse solution au vrai problème de la délinquance dans notre société : condamner à mort les enleveurs-assassins d'enfants. Un châtiment anachronique, en contradiction avec les conventions des droits de l'Homme ratifiées par notre pays ; une sanction qui ne sera pas exécutée, chacun le sait, du fait du moratoire qui suspend, depuis 1993, l'application de la peine capitale en Algérie. Quelle est donc l'utilité de ce nouvel article de loi ? Pour quels objectifs a-t-il été voté ? Une mystification de plus ? Une thaumaturgie ? Comme si le spectre de cette peine extrême allait, par une espèce de miracle, provoquer le recul de la violence sociale croissante et faire définitivement disparaître, de la cité, la criminalité. Si cela devait être le cas, la peine de mort aurait été instaurée depuis longtemps à travers toute la planète ; l'Humanité est dans le mouvement contraire, dans le sens de son abolition. Qu'à cela ne tienne, c'est maintenant chose faite. Sous l'emprise de l'émotion et de la colère, le peuple avait demandé la peine capitale pour les meurtriers des enfants, il vient de l'obtenir. Une vengeance collective, la réciprocité dans le crime. Est-ce que le fait de reproduire le meurtre - de façon légale (légitime, je devrais dire) - conjurera celui-ci et constituera une garantie pour l'avenir ? Rien n'est moins sûr. "Faire du coupable une victime serait accomplir l'acte même que réclame la vengeance, ce serait obéir strictement aux exigences de l'esprit violent", a écrit l'historien et philosophe René Girard (la violence et le sacré, éditions Pluriel). Il ajoute que "si la contre violence porte sur le violent lui-même, elle participe, de ce fait même, de sa violence, elle ne se distingue plus de celle-ci". La violence ne peut pas - ne doit pas - constituer une réponse à la violence. Pour autant, l'Etat algérien a accédé (a fait mine d'accéder ?) à la demande de la population et a autorisé des représailles institutionnelles. Une démarche qui a, peut-être, valeur de catharsis sociale ; mais, voilà certainement un acte politique qui n'est pas dénué d'arrières pensées, une opération de charme en direction de la population. Il y en aura d'autres, sans doute, et pour cause, l'élection présidentielle n'est pas loin. Si le vote, par les parlementaires, de l'article 293 bis peut faire l'effet d'un exutoire émotionnel, il est peu probable que cette mesure constitue la solution appropriée pour contenir ce type de délinquance ou encore pour éradiquer toute autre forme de violence sociale. Je ne crois pas que les pouvoirs publics soient dupes de cela. Au moins parce qu'ils ont conscience que l'introduction de cette disposition de loi, pour spécifiquement réprimer les auteurs des enlèvements d'enfants, restera de toute façon une décision inopérante à cause du moratoire qui suspend la peine capitale dans notre pays. L'irruption de ce type de crime - nouveau dans notre pays, il faut le souligner - n'est pas un épiphénomène. Ce que, par contre, semblent ignorer les décideurs. Il est l'arbre qui cache la forêt, et s'il se manifeste aujourd'hui c'est parce que la société est défaite et que les interdits fondamentaux qui garantissent l'ordre social se sont effondrés. Des comportements naturellement facilités par le délabrement de nos institutions et le recul de l'autorité de l'état. Voici réunis les éléments qui contribuent à l'émergence de cette nouvelle forme de violence sociale. Une délinquance qui terrorise les parents et fait naître chez eux l'effroi à l'idée que leur propre progéniture puisse en être victime. Une angoisse d'autant plus insupportable que les sévices infligés, dans ces cas, aux enfants sont cruels. Une cruauté qui inquiète et interpelle la conscience sociale, une libération des instincts qui interroge la société, une débauche de la monstruosité qui témoigne de l'inhumanité des auteurs de tels forfaits. Une situation qui donne, aux familles, froid dans le dos et crée un indicible et envahissant sentiment d'insécurité. Est-ce que brandir le spectre de la peine de mort - le "meurtre légal, officiel" - constitue la bonne réponse à cette situation ? Est-ce qu'agiter le fantôme de l'exécution du coupable va rétablir l'autorité de l'Etat et restaurer l'ordre social ? Est-ce que la cruauté des criminels va disparaitre du fait de la brutalité de la loi et des institutions ? Sans doute non. Pour que la violence et la délinquance reculent, il faut reconstituer le ciment social. Alors, il faut moins de misère, moins d'inégalités sociales et de hogra, plus de justice. Il faut que l'algérien accède au statut de citoyen digne, avec la possibilité d'exercer son libre arbitre et de participer à la décision politique, celle qui engage son destin propre mais aussi celui de sa patrie. Il faut que la loi soit au dessus de tous et qu'elle ne s'applique pas uniquement au citoyen lambda et au faible. Enfin, il faut que la probité et la droiture soient érigées en valeurs pérennes, et que le pouvoir politique en soit à la fois le garant et le modèle. L'intelligence et la compétence ne doivent plus être marginalisées et forcées au silence ou à l'exil. Elles doivent être réhabilitées et constituer les seuls arguments sur lesquels doivent reposer le mérite et l'accès à la responsabilité. La ruse et l'imposture ne doivent plus être des critères d'accession à la décision, notamment politique, et l'exemplarité doit prévaloir dans l'exercice de la responsabilité et ce, quel que soit le niveau où elle se situe. Chacun sait que ce n'est pas la culture qui prévaut dans notre pays. C'est pourquoi, revisiter la peine de mort, par le truchement de ce nouvel article du code pénal, me paraît participer plus de la manipulation politique que d'un véritable désir d'apporter des solutions au problème de la propagation de la violence et à la criminalité croissante dans notre pays. Cette décision vise, à n'en pas douter, un autre objectif. Abuser le citoyen en lui faisant croire que les décisions de l'état sont en résonance avec ses préoccupations et tenter de lui faire oublier l'injustice qui le frappe et l'indignité de son quotidien. Le pouvoir politique sait qu'il est impopulaire du fait de sa désastreuse gestion des affaires publiques et de la corruption généralisée qui gangrène le pays, un système qu'il a érigé en mode de gouvernance. C'est la raison pour laquelle il veut, aujourd'hui, détourner le mécontentement de la population et le capitaliser à son compte en surfant sur la vague de l'émotion qui a suivi les enlèvements d'enfants. C'est pour cela aussi que le peuple - qui n'est pas naïf, loin s'en faut - est désabusé et, qu'une fois passée la fièvre engendrée par les enlèvements d'enfants, il s'en est retourné à ses préoccupations quotidiennes, ordinaires. Le vote de cet article 293 bis, qui n'a pas suscité son intérêt, est passé inaperçu. Un non événement... Pendant ce temps, le ressentiment s'amplifie et la haine obscurcit la raison. La société qui continue, subséquemment, de se défaire s'abandonne à l'envahissante violence sociale et aux monstruosités qu'elle charrie. Les Algériens viennent d'apprendre que 15 milliards de dollars ont été détournés - sous forme de pots de vin, commissions et autres ristournes... -, depuis une dizaine d'années. Une prévarication qui vient rappeler les affaires, non oubliées, de Sonatrach, de l'autoroute Est-Ouest, Khalifa, etc. Une prédation méthodique des richesses nationales, des crimes économiques qui hypothèquent l'avenir du pays et celui des ses enfants, notamment des jeunes générations. Des forfaits qui éclaboussent les plus hautes sphères de l'état et une délinquance "officielle", qui sont impunis. Des délits graves pour lesquels le code pénal n'a pas été amendé. Je ne crois pas qu'il y ait une hiérarchie dans la criminalité, comme je ne crois pas aux vertus dissuasives de la peine de mort. Pour autant, je me pose la question de savoir qui de l'assassin d'enfant ou du corrompu, qui pille les richesses des algériens, occupe le sommet de la pyramide du crime ? Qui de l'un ou de l'autre devrait soulever le plus d'indignation et mériter la "sanction la plus sévère" ? C'est dans la réponse à ce questionnement que devrait se trouver la solution à la grande délinquance et, sans doute, plus généralement à la violence sociale grandissante dans notre pays. M. B. (*) Psychiatre et docteur en sciences biomédicales Nom Adresse email