"Nous sommes terrorisés, nous pensons à gérer nos mouvements et ceux des membres de nos familles au lieu de penser à la gestion et à l'épanouissement de nos entreprises", témoignait, en 2011, un industriel connu sur la place. L'enlèvement, lundi dernier, d'Amar Gada, un retraité de 67 ans, dans la région de Béni Zmenzer, au sud de la ville de Tizi Ouzou, n'a pas eu pour seul effet de replonger la population dans l'inquiétude, mais aussi de remettre sur le tapis le débat sur le coût socioéconomique de ce phénomène qui frappe une région politisée, surmédiatisée, mais au tissu économique très pauvre. Le 5 juin 2012, l'ancien président de l'APW de Tizi Ouzou révélait pour la première fois l'ampleur du désastre : au moins 71 opérateurs économiques ont délocalisé leurs activités vers d'autres wilayas. D'autres les auraient suivis durant la même année 2012, à en croire des sources proches du dossier. À Tizi Ouzou, la situation était déjà intenable. À la machine bureaucratique et fiscale que citoyens et opérateurs économiques s'accordaient à considérer déjà comme plus ravageuse à Tizi Ouzou que partout ailleurs, venait s'ajouter le phénomène des kidnappings. Au-delà des tracas économico-administratifs, les industriels, entrepreneurs et autres commerçants se voyaient menacés dans leur intégrité physique et celle des membres de leur famille. Depuis l'apparition de ce phénomène pour la toute première fois dans la région de Tigzirt en décembre 2005, et ce jusqu'à l'année 2012, il ne se passait plus un mois sans qu'une des localités de la wilaya n'enregistre un enlèvement. Quelquefois, un otage n'est pas encore relâché qu'un nouveau rapt est signalé. Près de 80 victimes dans la wilaya de Tizi Ouzou. Un record national bien entendu. Entre 2006 et 2010, de grosses pointures de ce qui constituait la sphère économique privée locale n'ont pas échappé à cette spirale infernale. Haddad, Yaker, Slimana et d'autres encore. Industriels, entrepreneurs et commerçants sont devenus des cibles. Ceux qui n'ont pas été enlevés attendaient presque naturellement leur tour. Tels des fantômes, les chasseurs de rançon sont partout embusqués. Dans les milieux économiques, c'est la psychose. "Nous sommes terrorisés, on pense à gérer nos mouvements et les mouvements des membres de nos familles au lieu de penser à la gestion et à l'épanouissement de nos entreprises", témoignait, en 2011, un industriel connu sur la place. Conséquence : d'un côté, le kidnapping s'est hissé au rang d'une véritable industrie. Les rançons exigées allaient de quelques centaines de millions de centimes à des dizaines de milliards. Elles sont très rares, les victimes relâchées sans versement de rançon. Même avec de grandes mobilisations populaires pour la libération des otages, des rançons ont été versées. La vérité a fini par éclater par endroits. L'argent de ces rançons alimente en partie les maquis, mais aussi les circuits de blanchiment d'argent. D'un autre côté, l'économie locale prenait un coup. Des entreprises se délocalisent, d'autres ne se développent plus et point de nouvelles entités pour venir s'installer. À l'ombre du phénomène des kidnappings qui se développait, seul le compteur du chômage affiche une hausse dans cette région, atteignant, selon des estimations crédibles, le taux le plus élevé au niveau national. La wilaya de Tizi Ouzou, qui espérait alors une reprise économique après la longue paralysie vécue durant les événements de Kabylie entre 2001 jusqu'à 2005, est vite replongée dans une situation aux conséquences fâcheuses. Exaspérée par ces enlèvements récurrents, la population commençait à interpeller les pouvoirs publics. En vain. Les autorités politiques jouaient sur les mots pour minimiser les maux. Les services de sécurité annonçaient, par-ci, le déploiement d'unités spéciales dont les éléments hautement entraînés sont capables de libérer des otages, chose qui ne s'est jamais produite à Tizi Ouzou, et, par-là, la maîtrise de moyens de localisation, mais jamais des ravisseurs n'ont été localisés. La population décide alors de se prendre en charge. De se mobiliser elle-même à travers des actions pacifiques pour exiger la libération des otages et dénoncer ce phénomène. Ce n'est que depuis 2011 que certains groupes de ravisseurs sont tombés. Ce fut le cas, entre autres, des ravisseurs et assassins de Hand Slimana, puis de Ghilès Hadjou et quelques autres encore qui ont levé le voile sur un des aspects de ce phénomène : il n'y avait pas que les islamistes armés qui kidnappaient à Tizi Ouzou. Ces actes sont aussi l'œuvre du grand banditisme. Parfois, ils activent en interconnexion avec les groupes islamistes armés. Aujourd'hui, près de 10 ans après son apparition, le phénomène des kidnappings a, certes, diminué, comparativement aux années précédentes, mais continue de frapper par intermittence comme on vient de le vérifier à Béni Zmenzer qui enregistre le 3e rapt en une année. Et l'économie locale continue de payer le prix fort. S L Nom Adresse email