Ce qui vient de se produire au stade de Tizi Ouzou est consternant, grave. Un joueur y laisse la vie uniquement parce que lui et ses coéquipiers n'ont pas offert la victoire que les spectateurs attendaient. Une pluie de projectiles s'abat sur le terrain. Une main experte touche la cible, et l'irréparable est arrivé. L'assassinat est commis. Un des supporters, un fan, devient meurtrier pour avoir été privé d'une victoire. Une frustration de toute évidence insupportable. Sans doute que l'auteur de cet acte — comme tous ceux qui ont jeté les projectiles sur le terrain — n'avait pas l'intention de donner la mort. Il n'avait pas mesuré les possibles conséquences de son geste. Il ne sait peut-être pas — pas encore — que c'est la pierre qui était entre ses mains qui a porté le coup fatal. La mort n'était pas prévue. Il dira que ce n'est pas lui, c'est l'autre, c'est tous, qu'il n'a en tout cas pas fait exprès, que c'était un accident. Comme si cela pouvait l'exonérer de sa culpabilité. Pour autant, les faits sont là. Il y a eu mort d'homme. Mais comment un instant de détente et de loisirs s'était-il transformé en un moment funeste ? Comment une simple défaite au football peut générer une frustration aussi profonde et l'explosion collective de la violence ? Chacun sait que quand l'émotion gagne la foule, le meilleur comme le pire peut arriver. Il suffit de peu. Au stade de Tizi Ouzou, c'est le pire qui est survenu. La colère est vite montée, et c'est le passage à l'acte agressif. Cela signifie quoi ? Cela signifie que la violence est devenue, dans notre pays, ordinaire, banale. L'agressivité est facilitée parce que les mécanismes sociaux, les interdits fondamentaux, et les barrières institutionnelles, l'autorité de l'Etat notamment, qui doivent la contenir ne sont plus opérants. Une contrariété, une frustration, un rien, conduit le sujet à la montée de la colère et à l'explosion agressive qu'il ne peut contrôler. Tout se passe comme s'il était incapable de raisonnement. Contrarié, ses capacités de discernement sont annihilées et les interdits sociaux n'ont, pour lui, plus de signification. Il est envahi par la haine, il réagit à l'instinct et est alors amené à adopter des comportements agressifs, violents, extrêmes. Sa conscience est obscurcie, les conséquences de son acte sur les autres ou sur lui-même importent peu. C'est probablement dans ces conditions qu'est survenu le tragique événement du stade de Tizi Ouzou. Des situations qui arrivent tous les jours, sur nos routes, dans les espaces publics, dans le voisinage, etc. Des personnes qui circulent armées de toutes sortes d'objets, couteaux dans la poche, gourdin sous le siège de la voiture... des sujets qui sont en attente (?) de passer à l'acte. En quelque sorte, une violence préméditée. Sans doute la même logique a prévalu ce jour-là dans le stade. Les spectateurs étaient armés de projectiles (et peut-être d'autres armes) qu'ils ont dû ramener de l'extérieur. Comment cela a-t-il été possible ? Quel a été le rôle des services de sécurité ? Des questions qui méritent d'être posées et qui pointent du doigt la responsabilité des pouvoirs publics. C'est cela la violence sociale. Une violence qui prend sa source et qui se nourrit de l'addition des injustices et des nombreuses privations que vivent au quotidien les citoyens. Perdre un match de foot, rien de plus habituel dans une société apaisée, sereine. Cela devient dangereux quand la violence s'est déjà emparée de la société et que cette déconvenue supplémentaire, la défaite, vient alimenter une vie déjà pleine de renoncements, de désespoir, de rancœur et de ressentiment. Le sujet est à bout. La violence est à fleur de peau, elle a pris possession de son être, elle lui est devenue familière. Quand elle se manifeste, c'est presque naturel, normal, banal. Une situation préoccupante et qui témoigne du délabrement de notre société et de l'effondrement des mécanismes régulateurs qui garantissent l'ordre et la paix sociale. Mais si la violence sociale s'est accrue dans notre pays, c'est parce que l'ordre institutionnel a reculé. Les institutions de l'Etat chargées de rappeler à l'ordre ont été neutralisées par le pouvoir politique. Ce dernier a utilisé la violence pour bâillonner les citoyens et leur interdire de prétendre à la décision politique. Il a usé de brutalité pour faire taire les voix dissonantes, et il a bâti un système où la hogra et l'injustice sociale sont la règle. En somme, le pouvoir politique algérien a semé tous les ingrédients qui peuvent (doivent) conduire à l'explosion de la violence dans la société. C'est pourquoi, aujourd'hui, conscient des risques que sa gouvernance désastreuse fait peser sur son avenir, il agit systématiquement dans le but d'acheter la paix sociale. Il joue au pompier qui veut contenir le feu qu'il a allumé. Il recule sur l'essentiel, l'autorité de l'Etat, pour obtenir l'accessoire, la paix du moment. Pis encore, il autorise et manipule la violence sociale qui prend racine et qui s'impose présentement comme mode de communication privilégié entre le citoyen et la République. Aujourd'hui, dans notre pays, tout s'obtient par l'émeute, par la force, par la violence. Les institutions de l'Etat n'y peuvent rien parce qu'elles sont neutralisées par un pouvoir politique qui a peur de son peuple. Un pouvoir qui veut durer quelles que soient les conséquences pour l'avenir de la nation. C'est à l'ombre de cette "tolérance", de cette gouvernance hasardeuse, que des formes de violence — délinquantes, il faut le souligner — et que des comportements agressifs et dangereux prolifèrent et mettent quotidiennement en danger la vie des citoyens. Le meurtre perpétré au stade de Tizi Ouzou est de ceux-là. M. B. (*) Psychiatre et docteur en sciences biomédicales Nom Adresse email