Les boulangers envisagent de se mettre à l'arrêt au cours du mois prochain. Peut-être que le gouvernement, anticipant leur mécontentement, a déjà pensé la réplique qui rendra inutile la grève des fourniers. Notre gouvernement est en effet particulièrement attentif aux problèmes sociaux des Algériens : pressentant les injustices sociales qui tourmentaient les pompiers et les douaniers, il y a remédié avant même que ceux-ci s'en ouvrent à lui. Dès qu'il constate la nécessité d'améliorer l'ordinaire d'une catégorie sociale il n'hésite, en effet, pas à mettre la main à la poche. Enfin... pas toujours, parce qu'il est en même temps soucieux de l'économie des ressources de l'Etat. Il ne suffit donc pas de manifester ou de faire grève pour voir sa condition améliorée. Quand on est médecin ou enseignant, par exemple, il faut battre le pavé et endurer la matraque pendant des semaines pour se faire entendre. S'il suffisait de tempêter pour voir son menu enjolivé, nous serions déjà tous servis ! Parce que nous avons tous braillé, mais pas avec le même succès. Ces quinze dernières années, dans l'Algérie de la "stabilité", il n'y a plus que l'armée qui n'ait pas fait grève et n'ait pas manifesté ! Le pouvoir a ceci de remarquable : les corporations méritantes n'ont pas à s'agiter pour être satisfaites ; il presse leurs doléances et y réagit instantanément. En 2008, année nationale des augmentations, les parlementaires n'ont pas eu à se soulever ; il a suffi qu'ils laissent planer une sourde protestation pour que le pouvoir comprenne que la tâche d'approbation mécanique, mais néanmoins "démocratique", des ukases de l'Exécutif valait bien une meilleure rétribution que celle consentie jusque-là. Mais, dans la catégorie des corporations utiles, les boulangers figurent en bonne place. Le pouvoir ne le sait que trop bien : les Algériens ne badinent pas avec la bouffe. Le pain reste le dernier aliment — et produit — qu'ils peuvent gaspiller sans compter. Leur dernier objet d'hédonisme. Une grève des transports, une grève des écoles, une grève des hôpitaux, cela peut se concevoir ; mais une grève de la boulange serait insupportable ! Mais le pouvoir n'est pas en mesure d'assumer un prix plus élevé, et donc plus réaliste et plus économique, du pain. Sa politique de subvention n'a pas une finalité sociale, mais une fonction politique. Elle a vocation de faciliter la vie aux plus nécessiteux, n'est-ce pas ? Les subventions fonctionnent comme "un acquis des masses laborieuses" ; aucun pouvoir ne peut s'y attaquer. Surtout quand il connaît un tel déficit de légitimité. Alors, on le bouffe, le pain... Peu d'Algériens sont en mesure de savoir le coût réel d'un pain, d'un litre d'essence, d'un watt d'électricité. L'on sait seulement que leurs prix ne doivent pas augmenter. Et le pouvoir nous encourage à tenir à ce conservatisme tarifaire : il nous rappelle régulièrement que l'augmentation du prix du pain, du carburant, de l'électricité, etc. "n'est pas à l'ordre du jour". Pendant que la bombe à retardement des augmentations et des subventions inconsidérées enfle, il se réjouit de sa factice "stabilité". Le seul imprévu est que, vu les circonstances politiques et pétrolières, la bombe, qui devait exploser entre les mains du prochain régime, risque d'exploser prématurément. M. H. [email protected]