Le verbe haut, le style flamboyant, sa longue crinière argentée lui conférant quelque chose de rebelle, cet enfant terrible du Zaccar est érigé en véritable justicier de la plume. “Qassaman ! Pour les années passées avec Saïd Mekbel, Amar Ouagueni et Kheïreddine Ameyar, pour Tahar et Dorban, pour les martyrs de la profession à qui nos plumes doivent d'avoir survécu au doute (…), pour toutes les montagnes de mon pays, celle de Baya, léguée par Meddour, mon Zaccar où le GIA a remplacé les cerisaies, l'imposant Djurdjura de Abbane et de Matoub (…), sur la tombe de Ali Lapointe que vous avez interdite à Toufik Ben Brik, pour Abdelhak Benhamouda qui vous regarde rire avec Abassi Madani (…) Qassaman ! Nous ne nous tairons pas !”. C'est là un extrait de Qassaman version Benchicou qui, tel Lounès Matoub, réécrit l'hymne patriotique à la sauce néo-nationale pour accabler les nouveaux tyrans. Ancien rédacteur en chef à Alger-Républicain aux côtés de Abdelhamid Benzine et Abdarrahmane Chergou, Benchicou est pétri de cet esprit de résistance qui caractérisait la vieille gauche. Ses modèles ont pour nom Ben M'hidi, Abane, Henri Alleg, Henri Maillot ou encore Bachir Hadj Ali. Le verbe haut, la plume acérée, le ton mêlant lyrisme et harangue, la “patte” de Benchicou se reconnaît de prime abord. Ses mots corrosifs, son style flamboyant, ses piques assassines, ses références latines, ses tournures aussi inimitables qu'un passement de jambes de Zizou, sa façon si singulière de triturer la langue, d'asséner des jugements assommants avec la dernière finesse, sont autant de munitions qui feront de ce quinquagénaire rebelle, cet enfant terrible du Zaccar (il est né en 1952 à Miliana), un chroniqueur hors pair. Même ceux qui ont commis l'infamie de le jeter en prison reconnaissent, dans l'intimité de leur outrecuidance, son immense talent. Car se faire brocarder avec tant de virtuosité est déjà une promotion. Benchicou, c'est aussi une témérité qui n'a d'égale que la féconde insolence d'un Ali Dilem, son jeune alter ego et compagnon de commissariats. Ses prises de position publiques plaident pour son courage et son engagement. Il aura une histoire toute particulière avec la “dynastie” Bouteflika, l'anti-Jefferson attitré. Armé de son génie, il met à profit une mesure qui l'assigne presque à résidence et il couche sur papier la biographie “cachée” de “Sidi H'bibi” (sobriquet qu'il collera à Abdelaziz Bouteflika sous la plume de Inès Chahinez). Contrairement à ce que prétendront ses détracteurs, Bouteflika, une imposture algérienne se révèlera un livre serein, étayé de témoignages et ne souffrant ni excès ni rancœurs. Bien qu'interdit à sa sortie, il s'en écoulera plus de 30 000 exemplaires. Du jamais vu dans l'histoire de l'édition en Algérie. Il disait dans une chronique mémorable datée du 27 mai 2004, toute sa fierté d'avoir pour confrère un certain… Hafnaoui Ghoul, et qui, par un de ces somptueux arrangements dont seul le mektoub a le secret, devient pour ainsi dire son compagnon de cellule. Avec son lyrisme de franc-tireur, il chutait : “Si la défaillance venait à nous surprendre, nous leur aurions déjà confié nos plumes à tous ces fils qui, pour avoir regardé violer leur mère patrie, jurent que nul ventre de cette Terre ne sera assez grand pour vous protéger de leur colère. Vous avez perdu.” Oui, ils ont perdu ! Monsieur Benchicou. M. B.