Une banale histoire de démolition d'une construction “illicite” a pris, en l'espace de quelques jours, une surprenante tournure pour dévoiler une affaire de corruption dans laquelle sont impliqués le maire de Aïn Benian et trois de ses proches collaborateurs, qui ont par ailleurs été écroués. Mustapha Bouchami est un homme très connu dans la région. Chef des Patriotes depuis 1993 à ce jour, vice-président Unpa de Aïn Benian, il est également président des associations du Sahel et agronome. Il se trouve qu'il joue le premier rôle dans ce feuilleton puisqu'il est à l'origine de l'arrestation des mis en cause. Muni d'un dossier ayant trait à cette affaire, il s'est présenté à notre rédaction pour relater tous les détails des derniers développements, notamment la souricière tendue par les éléments de la répression du banditisme (Onrb) un certain 28 juillet de l'année en cours. À l'origine, une régularisation qui tardait à venir au sujet de la villa construite sur les mêmes lieux d'une ancienne bâtisse sise Plateau Est (Aïn Benian). Le rez-de-chaussée servait alors de dépôt de vente de gaz butane depuis 1984 que les services compétents de la protection civile et de la Sonatrach avaient déclaré conforme aux normes requises. En 1993, le propriétaire décide de changer d'activité en commerce multiple comme l'atteste son registre du commerce. Cependant, le problème qui s'est toujours posé est que l'actuelle construction (R+2) n'a jamais obtenu de permis légal. C'est ce que défend M. Bouchami en expliquant qu'il n' a pas manqué pour cela de solliciter les autorités concernées pour pouvoir bénéficier du décret d'août 1985 lui offrant la possibilité de jouir d'une régularisation. Il précise que dans ce sens, il avait déposé une demande en bonne et due forme précédée d'une sortie sur les lieux d'une équipe du cadastre de Koléa. C'est ainsi qu'un dossier complet a été déposé au niveau de la daïra de Chéraga à l'effet de ladite régularisation. L'APC de Aïn Benian avait même émis un avis favorable en mai 1997 (copie en notre possession). Entre temps, M. Bouchami a relancé les services des biens publics au niveau de la daïra où un des responsables lui avait réclamé 100 millions de centimes en contrepartie de la régularisation en question. Pourtant le 10 mai de la même année, un avis favorable lui a été signifié concernant la régularisation des locaux commerciaux à condition de respecter l'alignement autorisé à 20 mètres. L'actuel maire était à cette époque vice-président. En décembre 2001, contre toute attente, le maître des lieux reçoit un avis défavorable rejetant sa demande. Une décision allant à l'encontre de l'esprit du décret de 1996. Une autorisation verbale et 400 millions M. Bouchami, tout en continuant à s'interroger sur le pourquoi des lenteurs administratives, que lui infligeaient les services de l'APC, n'en avait pas pour autant désarmé, lui qui, justement, avait réussi à monter une équipe armée de 400 personnes pour la lutte contre le terrorisme. En 2003, le P/APC, prenant en compte son dossier et sa régularisation en cours, l'autorise verbalement. Le 20 août 2003, il lance les travaux de construction de sa villa. Mais les tracasseries étaient loin d'être terminées. “J'ai reçu tout de suite la visite de l'inspecteur de l'urbanisme de la daïra de Chéraga, accompagné du chef de la sécurité de la circonscription administrative, me demandant le permis de construire. J'ai répondu que j'étais en possession d'une attestation en cours de régularisation. Ils m'ont réclamé alors 400 millions de centimes dont la moitié devait être versée dès que les travaux seraient à moitié finis. L'inspecteur était revenu le lendemain pour me réitérer la demande tout en me rassurant que je pouvais compter sur eux. Il fallait, selon lui, payer 100 millions de centimes pour chacun d'eux et 200 millions pour le wali délégué.” Notre interlocuteur ayant été pris de court s'est mis à expliquer qu'il ne disposait pas de liquidités et qu'il ne pouvait par conséquent honorer un tel engagement avant quelques mois. “Ne lâchant pas prise ils exigèrent de moi un sac de semoule et un bidon d'huile chaque semaine. Du mois d'août 2003 au mois de février 2004, ils venaient régulièrement trois fois par mois prendre lesdites denrées. J'ai des témoins pour cela”, dira-t-il. Comme le confirment leurs déclarations sur l'honneur, les témoins confortent M. Bouchami dans ses dires. Harcèlements et pressions À partir du 25 février 2004 et voyant que leur vis-à-vis n'avaient pas l'intention de céder au chantage de verser l'argent convenu, les deux maîtres chanteurs passent à l'action. Ils lui font payer en premier lieu une contravention de 2 000 DA versés au Trésor. Trois jours après on lui adresse une convocation pour se rendre à la brigade de l'urbanisme. Il refuse de s'y rendre. “Pourquoi ne m'a-t-on pas convoqué d'août à février ?” se plaindra-t-il. Au début du mois d'avril, son voisin qui n'est autre que son frère, dont la construction n'a pas été touchée, lui suggère de remettre chacun 30 millions au P/APC pour effectuer les travaux de finition de sa villa. “J'ai, en effet, remis les 30 millions au maire par le biais de sa fille. Deux jours après, mon frère est venu une remettre 10 millions et me dire que le maire refusait. Où sont passés les 20 millions alors ?” s'interroge M. Bouchami. En date du 8 mai 2004, il reçoit la visite de trois élus — S. A. , H. K. et A. T. — qui le “conseillent” de remettre une somme non fixée au maire ainsi qu'à des gens haut placés. Le 18 mai, alors qu'il se dirigeait vers Médéa pour affaire, il reçoit un coup de fil l'avisant de la démolition de sa villa. Il fait demi-tour et se rend chez le P/APC qui l'informe que la décision vient du wali délégué qui fait pression sur lui. Comme par hasard, la décision en question a été établie le jour même. “Vers 21 h, le maire envoie A. T. et H. K. chez moi qui m'apprennent que leur président est désolé pour ce qui est arrivé, tout en m'assurant que ma situation allait être régularisée. Ils sont revenus onze fois de suite. Quatre conversations ont été enregistrées, alors que nous prenions le thé ensemble. Ils m'ont demandé 300 millions mais on a fini pas se mettre d'accord sur 200 millions.” Il prépare son coup À partir de cet instant, chaque action était portée à l'attention des services de police. Pourtant notre interlocuteur ne trouvera main-forte qu'auprès du boss de la DGSN, Ali Tounsi, qui envoie le 27 juillet une équipe de l'ONRB dirigée par un certain Abdelmalek. Un procès-verbal est établi et les billets de banque photographiés avec un appareil numérique. “Le mercredi 28 juillet vers 17 h, les deux vice-présidents A. S. et H. K. étaient au rendez-vous, alors que le troisième A. T. était resté avec nous en contact par téléphone. C'est le courtier du maire. A. S. s'est dit prêt à prendre la part du maire pour la lui remettre. Sur les 200 millions, je leur ai remis 20 millions à se partager en quatre. Les 180 millions restants devaient être remis trois jours après.” En quittant le domicile de M. Bouchami ils sont arrêtés un kilomètre plus loin la main dans le sac. Trois jours plus tard, soit le 5 août, les mis en cause ont été mis sous mandat de dépôt. Le maire a été présenté devant le tribunal de Larbaâ. Lors de l'audience, il semblerait que le responsable de l'urbanisme et le chargé de la sécurité du wali délégué seraient des repris de justice pour des affaires de corruption. Selon nos informations, le second aurait même fait l'objet d'une radiation du corps de la gendarmerie. La liste des mis en cause dans cette affaire n'est pas close. Nous y reviendrons. A. F.