On a l'impression que, d'une manière générale, les pouvoirs publics sont installés dans la routine de l'après-coup et répugnent à anticiper ce qui est naturellement dans l'ordre des choses. Un extraordinaire déchaînement des éléments, à la veille de l'Aïd, a provoqué une tragédie sans pareille dans cette baie d'Alger d'habitude si paisible, mais dont il aurait fallu pourtant se méfier comme de l'eau qui dort. Le bilan est trop lourd, incompréhensible et inadmissible à première vue, s'agissant d'un drame qui s'est déroulé sous les yeux d'autorités réduites à l'impuissance et à quelques centaines de mètres seulement de la grande ville qui vivait dans le soulagement le dernier jour de Ramadhan et une ambiance festive à peine atténuée par les trombes d'eau gigantesques. Les supputations, les hypothèses, les explications vont, comme de bien entendu, faire florès et ce ne sont pas les avis des experts qui les arrêteront. Des doigts accusateurs se pointent, déjà, qui mettent en cause l'efficacité et l'organisation des secours, l'obsolescence criminelle de l'armement national, les leçons non retenues du déluge de Bab El-Oued, il y a exactement trois ans, de la lenteur des interventions lors du séisme de mai 2003… À la vérité, les deux dernières catastrophes ont induit des traumatismes profonds et durables dans les consciences, à tel point que de simples variations climatiques donnent parfois lieu à des angoisses collectives et font naître des craintes de voir d'autres drames de même ampleur se produire. Souvent fatalistes et s'en remettant à la souveraineté du Sort, les Algériens n'appréhendent pas tant les calamités — surtout lorsqu'elles sont naturelles — que la manière avec laquelle l'administration les anticipe et prend en charge leurs conséquences. Et c'est là qu'il y a à redire. À Bab El-Oued, on s'était aperçu que les “plans ORSEC” — Organisation et Secours —, national et sectoriel, n'avaient d'existence que théorique ; à Boumerdès, le séisme a révélé l'incapacité de l'Etat à “mobiliser” et acheminer quelques milliers de tentes dans les 48 heures. L'est-il d'ailleurs, à présent ? On a l'impression que, d'une manière générale, les pouvoirs publics sont installés dans la routine de l'après-coup et répugnent à anticiper ce qui est naturellement dans l'ordre des choses. Instruits par la tragédie de la baie d'Alger, ils ne vont probablement pas tarder à faire le point sur leurs capacités à prévoir et coordonner les secours terrestre, maritime et aérien pour le sauvetage en mer. Mais d'abord, ils auront à répondre à un devoir de vérité : comment sont morts et ont disparu les marins du Béchar ? A. H.