Pour l'auteur, il s'agit plus que d'un travail universitaire, il s'agit d'une passion, raison pour laquelle il a choisi Alger pour entamer une nouvelle expérience de recherche. À travers les différents contacts qu'il a rencontrés, il a pu recueillir près de 4500 contes. Un recueil de contes kabyles en espagnol ? Et pourquoi pas, semble répondre Oscar Abenojar, l'auteur du recueil Cuentos populares de la Cabilia (contes populaires de Kabylie), avec la collaboration de Ouahiba Immoune, qui emporte souvent dans ses études de recherches anthropologiques la fascination de cet univers symbolique de l'oralité qui continue, selon son expression, d'exister et de vivre. Pour lui, il s'agit plus que d'un travail universitaire – Abenojar est docteur en anthropologie et travaille actuellement au centre Cervantès d'Alger – il s'agit d'une passion, raison pour laquelle il a choisi Alger pour entamer une nouvelle expérience de recherche. Cette culture orale maghrébine, reconnaît-il, est connue en Espagne, mais à travers beaucoup plus les travaux des autres chercheurs européens. Alors que, dit-il, il se trouve qu'il y a beaucoup de choses en Espagne qu'on ne peut comprendre qu'à travers cette histoire, ce complément culturel maghrébin. "Ce que j'ai compris", dit-il avec un certain enthousiasme. Et c'est là qu'il comprend la jalousie de ses confrères lorsqu'il les informa qu'il avait choisi et été affecté en Algérie. Il regrette cependant qu'un grand pan du patrimoine commun au Maghreb ait disparu en Espagne. Heureusement, dit-il encore, qu'en Algérie ce patrimoine est toujours en vie et se transmet, ce qu'il appelle "la résistance à la modernité". Cette modernité qui, avec ses outils, met en péril le patrimoine oral des sociétés. Et il va très vite le découvrir à travers ses étudiants qui l'ont rapidement mis en contact avec cet univers et ses "acteurs" vivants. Un vrai conte. Et il raconte, comme dans un conte, "son aventure scientifique en Algérie". Cela commence lorsqu'une de ses étudiantes, Ouahiba Immoune, s'est mise à raconter des contes et lui apprend qu'elle les a appris de sa mère qui, soit dit, croit encore à "tseryel", l'ogresse, dans les contes kabyles. Et Oscar a dû apprendre des rudiments de kabyle qu'il prononce avec un accent plaisant. Il rencontre alors la femme qui lui raconte 90 contes. Des contes inédits, qui n'ont jamais été catalogués. "Je n'ai jamais rencontré un informateur pareil", dit-il. A travers les différents contacts qu'il a rencontrés, il a pu recueillir près de 4500 contes. Après cette première expérience dont a résulté le recueil, Oscar s'est intéressé aux contes mozabites. Mais l'auteur n'a pas fait le déplacement dans la vallée du M'zab ; c'est à travers des rencontres de Mozabites à Alger qu'il a pu constituer son recueil. Ce qui lui a permis de faire une étude comparative, et par extrapolation déboucher sur des similitudes avec le même genre dans les pays européens. Selon lui, les contes kabyles ressemblent presque parfaitement à ceux de l'Europe de l'Est dont on trouve des versions jusqu'au Congo, et les contes mozabites à ceux de l'Europe occidentale. Oscar, lui, préfère parler de branches. "La version des contes mozabites concorde avec les contes ibériques", relève-t-il. Bien entendu, la fascination vient du fait que ce genre de patrimoine et le mode de sa transmission n'a plus d'existence effective en Europe. "On le retrouve généralement dans les musées", dit-il, alors que ses recherches lui font découvrir "un musée à ciel ouvert, vivant et exceptionnel", du moment que, explique-t-il, "même des enfants peuvent vous raconter des histoires et des contes", en s'appuyant sur l'expérience de ses rencontres avec des enfants dans un petit village en Kabylie qui lui ont raconté des contes, avec soit des ogresses, lions ou chacals ou des contes à la Jeha. "C'est un patrimoine oral, qui est en vie et qui se transmet", conclut-il. Ce patrimoine, reconnaît-il, fait cependant face à un danger, une menace : la modernité, d'où la nécessité, pour lui, d'établir un catalogue exhaustif avant qu'il ne disparaisse. "Je crois que c'est une culture qui est en danger", dit-il. Et pour faire face à ces menaces, il a décidé de faire plusieurs versions du recueil avec des traductions en français, en espagnol en plus de la version berbère originale. Quel objectif justifie cet intérêt ? Le principal, pour Oscar, est de cataloguer et classer les contes recueillis avant qu'ils ne disparaissent, de les publier pour qu'ils puissent servir pour les anthropologues, les linguistes, etc. Plus intimement, il s'agit, pour l'auteur, "de connaître nos racines communes, espagnole et maghrébine". Car, estime-t-il, on ne peut pas prétendre connaître la culture espagnole sans connaître ses racines maghrébines. Le patrimoine maghrébin semble alors un passage obligé pour connaître la culture espagnole, selon sa conception. "C'est le moment de commencer à se connaître", lâche-t-il pour terminer. D. B.