Les perspectives d'évolution et de développement de nos villes ont été au cœur des questionnements soulevés, hier, au Forum de Liberté, par l'architecte urbaniste, Halim Faïdi, et Akli Amrouche, éditeur de la revue Vie de villes. D'emblée, Akli Amrouche, diplômé de l'Epau et de l'université de Louvain (Bruxelles), ayant exercé pendant cinq ans en Belgique et en Algérie, a abordé la thématique des quartiers informels qui pullulent à la périphérie des grandes villes du pays, des pôles urbains ainsi que la question des finances publiques des projets d'urbanisation. Il a estimé, dans ce sens, que la question de l'harmonisation urbaine reste d'actualité aujourd'hui, encore, en dépit de la volonté politique qui lui a porté un intérêt particulier, dix ans auparavant. Ce n'est pas faute de législation en la matière, comme en témoigne la loi 08-15, fixant les règles de mise en conformité des constructions et de leur achèvement, dit l'invité. D'après lui, l'article 3 insiste sur la nécessité de respecter l'harmonie des formes et la qualité des façades d'une construction. La question, qui se pose d'emblée, est que représente une façade d'une maison dans un lotissement de millier de villas ? Il estime que l'objectif de départ était de soigner l'image de nos villes défigurées par les nombreux quartiers informels en attente éternelle d'achèvement. Mais, "la loi est restée figée dans des aspects techniques et bureaucratiques et son échec est flagrant", a-t-il affirmé. Et pour cause : "Nous avons pris le problème par le mauvais bout, beaucoup de professionnels l'ont dénoncé dès le début." En abordant la thématique des pôles urbains, d'ailleurs jugée comme "une option coûteuse", il s'est basé sur une étude menée par l'architecte Hanae Bekkari, pour indiquer que ces pôles urbains, qui désignent les nouveaux quartiers d'habitat de masse implantés dans les périphéries loin des centres urbains, malgré des efforts financiers importants, représentent une série de déchirements sociaux et affectifs, de perte de revenu social (les services) et économique que l'on doit compenser par la présence sur les nouveaux sites ou à proximité d'un suréquipement et une offre d'emplois. Hormis les raisons qui ont amené à produire ces "pôles", il y a manifestement absence d'un bonne maîtrise d'ouvrage urbaine, a estimé l'intervenant, qui suggérera le blocage de l'urbanisation effrénée qui a été menée jusque-là sous le sceau de l'urgence, afin de favoriser le passage à la qualité du cadre de vie, comme le préconisent de nombreux experts. Il suggérera, dans ce sens, une démarche participative visant à redonner vie aux villes informelles, en prenant pour exemple, le quartier "houmat Chouk" (quartier des Epines) situé dans la périphérie de Tanger, qui, commence à se transformer de façon durable et d'avenir. Après avoir dépeint l'incongruité de ces pôles urbains, dénués de toutes commodités, M. Amrouche indiquera la voie à suivre, celle qui consiste à mettre en place des stratégies à long terme, sans omettre au passage de revoir les schémas des finances, pour un partenariat public-privé, où "l'Etat est acteur et contrôleur". Le second invité, Halim Faïdi, a, à son actif, la conception d'ouvrages d'importances notamment, le nouveau siège du ministère des Affaires étrangères et un Musée d'art moderne (Mama). Il est détenteur de plusieurs distinctions, notamment, le premier Prix national d'architecture et le premier prix Tony-Garnier et est médaillé de l'Académie française d'architecture. L'invité du Forum de Liberté qui s'intéresse particulièrement à la connexion ville-société, a donné une définition de la ville, selon laquelle, cette dernière "n'est pas une addition de logements ou d'équipements, mais un espace où les gens vivent dans le respect". "La ville et la société sont intimement liées. Si la ville est malade, la société tombe aussi malade et inversement et si, la ville est mal faite, elle ne peut donner une société épanouie", a-t-il indiqué. "On ne peut résoudre le problème du logement à travers des constructions mais dans l'équation ville", a-t-il affirmé, avant de poursuivre : "Ce n'est pas le logement qui fait la ville, mais le contraire." Cet architecte-urbaniste, diplômé de l'Ecole nationale d'architecture et d'urbanisme d'El-Harrach (Epau), s'est appesanti sur l'exemple de La Casbah d'Alger, pour développer sa vision, qui appelle à puiser dans le passé pour construire le présent et le futur. Il en veut pour preuve que la citadelle a été construite, petit à petit, parcelle par parcelle, par des privés, rendant la richesse horizontale. Pour des environnements harmonieux, il recommande l'impératif de revenir aux "totales études" pour tout dessiner dans les détails, une conception nationale, et la nécessité d'industrialiser l'intelligence. "Une ville se fabrique et a besoin de mémoire", a indiqué M. Faïdi qui a mis à profit la tribune que lui offrait le Forum de Liberté, pour lancer un appel citoyen. "N'attendez pas que l'administration vous gère, vous administre de gré ou de force, il faut se prendre en charge pour améliorer votre cadre de vie", dira-t-il, en outre, pour insister sur le nécessaire réveil citoyen. Il ne manque pas de s'adresser, aussi, aux architectes : "Refusez de dessiner la mélasse." Celui qui veut rendre ses lettres de noblesse au métier d'architecture, préconise également de séparer l'architecture de l'ingénierie. "Vous ne pouvez prescrire à partir d'un bureau d'études", a-t-il affirmé, avant de souligner l'impératif de redéfinir les modes opératoires qui nous permettent de construire des villes. "L'administration doit lâcher la prescription", a-t-il dit, en préconisant de faire appel à des cadres locaux, à l'ingénierie locale pour les futurs projets de construction. "On ne veut pas d'urgence, ni de pétrole, mais d'intelligence", conclut-il. Une vision sur laquelle convergent les idées développées par les deux intervenants qui, en définitive, appellent à sortir de la logique de marché et de rétablir l'architecte dans son rôle d'unique prescripteur. A. R.