"Nous avions rêvé et souhaité une réforme respectable parce que notre système est pourri. Mais voilà que ces amendements imposent toujours le même système", a-t-elle déploré. Sévèrement critiqué, et quasi unanimement par les experts et autres observateurs, mais aussi par plusieurs partis politiques, y compris les plus proches du pouvoir, l'avant-projet de révision de la Constitution, dévoilé en début de semaine, suscite également la désapprobation de la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, qui y décèle une série "d'énormités". Pour elle, cet avant-projet frise le ridicule et s'éloigne cruellement de ce que devrait être une loi fondamentale d'un pays. "C'est une mascarade", a-t-elle qualifié la mouture, hier, à l'ouverture d'une session ordinaire du comité central de son parti dont les travaux de deux jours seront, en grande partie, consacrés au débat sur une étude comparative entre l'actuelle Constitution et les amendements contenus dans l'avant-projet de sa révision, élaborée par le secrétariat national du parti. Se référant à cette étude, Mme Hanoune souligne que "dans leur ensemble, les dispositions proposées dans cet avant-projet ne sont que des retouches et des amendements superficiels". "Il ne s'agit guère de réformes politiques, institutionnelles et constitutionnelles profondes, comme avait promis, en avril puis en mai 2011, le président de la République ; il avait promis de restituer la parole au peuple. Mais aujourd'hui, il est clair que ce ne sont que des amendements superficiels. Lors de la présentation de cet avant-projet, son chef de cabinet avait clarifié que la nature du régime ne changera pas ; nous savions que le régime n'allait pas accepter son changement de l'intérieur. Cela était clair, car il y a des intérêts en jeu. Ceux-là qui avaient l'habitude d'avoir la majorité avec la fraude n'accepteront jamais de changement. Toutefois, nous avions rêvé et souhaité une réforme respectable parce que notre système est pourri. Mais voilà que ces amendements imposent toujours le même système. Ce système qui n'est ni présidentiel ni semi-présidentiel, encore moins parlementaire ou semi-parlementaire, mais bel et bien un système présidentialiste !", a-t-elle jugé, déplorant l'absence des équilibres des pouvoirs. Pour étayer son propos, la première dame du PT citera l'exemple des pays démocratiques où toutes les institutions ont droit à la décision. Dans cet avant-projet, relève-t-elle, "il n'y a pas de séparation des pouvoirs, il y a plutôt des slogans creux". Elle se réfère à la disposition proposée pour le renforcement de l'opposition au sein des assemblées, alors que, dit-elle, la logique veut que ce soit les prérogatives des élus qui soient renforcées. "Au lieu de renforcer et d'élargir les prérogatives des parlementaires et définir le vrai rôle de l'Assemblée, ils nous parlent du droit de l'opposition !", s'étonne-t-elle, rappelant, au passage, le "coup de force" du pouvoir législatif à l'occasion de l'adoption de la LF 2016. "Ni séparation des pouvoirs ni indépendance de la justice" Mme Hanoune a le même avis sur l'indépendance de la justice promise dans cet avant-projet. "Ils disent que les juges ne doivent pas céder aux pressions. Mais que peuvent-ils quand c'est le ministre de la Justice qui les désigne, les promeut, leur demande des comptes ? Comment ces juges-là peuvent-ils être indépendants ? C'est impossible ! Outre cela, dans cet avant-projet, il est aussi dit que le Conseil supérieur de la justice sera toujours présidé par le président de la République. Où est l'indépendance de la justice dans tout cela ?", s'interroge-t-elle encore. Elle a également du mal à croire à l'indépendance du Conseil constitutionnel, encore moins à son "autonomie administrative" tel qu'énoncé dans l'article 163 de l'avant-projet. Elle se demande à ce titre : comment peut-on parler d'indépendance de ce Conseil quand on sait qu'il est financé par l'Etat ? Elle remet en cause, par ailleurs, la "Haute instance indépendante de surveillance des élections". Mme Hanoune se demande, logiquement : "Comment cette instance, que présidera le chef de l'Etat et dont les membres seront désignés et/ou nommés (article 170) par lui-même, pourrait garantir des élections transparentes ?" Pour Mme Hanoune, c'est tout simplement "inacceptable". Dans la foulée, elle s'oppose y compris au principe de la limitation des mandats présidentiels réintroduit, après sa suppression en 2008 par le même Bouteflika, dans l'article 74 de cet avant-projet. "C'est une honte !", s'exclame-t-elle. Conséquence, Mme Hanoune ne nie pas avoir elle-même cautionné l'idée du président Bouteflika qui avait fait sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats, ce qui lui avait permis de rester à la tête de l'Etat pour deux mandats supplémentaires. Le PT étant pour le principe de la révocabilité. "Nous, au PT, nous ne changeons pas de veste. Nous sommes constants. J'aurais cru qu'on allait instaurer le droit du peuple à la révocabilité. Mais voilà qu'on revient à la limitation des mandats, même après l'avoir supprimé. Encore une fois, c'est une honte !" L'autre disposition contenue dans l'avant-projet de révision constitutionnelle qui provoque davantage l'ire de Louisa Hanoune est celui (le 3 bis, ndlr), pour le moins vicieux, relatif à la promotion de tamazight comme "langue nationale et officielle", mais sous certaines conditions "incompréhensibles" à ses yeux. Tamazight : "Pourquoi cette discrimination ?" La porte-parole du PT, qui en fait une revendication depuis plusieurs années, se dit ne pas comprendre surtout cette disposition stipulant que "l'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national". "Dans ce cas-là, il faudrait aussi réserver le même traitement pour les dialectes arabes. Mais pourquoi cette discrimination ? C'est encore une énormité parmi bien d'autres dans cet avant-projet", a-t-elle souligné, regrettant que la joie des défenseurs de cette cause qu'elle fait aussi sienne "n'est pas complète". "Beaucoup de citoyens nous ont appelés après l'annonce de cette officialisation tant revendiquée par des Algériens des 48 wilayas, mais notre joie n'est pas complète avec cette discrimination. Le comble est qu'elle n'est pas, en outre, citée dans l'article 178 relatif aux constantes immuables", a commenté Mme Hanoune pour laquelle on aurait dû se suffire à écrire dans cet avant-projet de révision de la Constitution "Tamazight langue officielle et point". Elle souhaite que cette "énormité" soit réparée par le Conseil constitutionnel. Sur le plan économique, le première dame du PT s'élève, particulièrement, contre l'article 17 qui remet en cause les monopoles de l'Etat, mais qui plaide aussi et surtout pour "l'amélioration du climat des affaires". "Il n'y a aucune Constitution au monde dans laquelle il est écrit ainsi, à moins qu'on pense aux intérêts de l'oligarchie", s'est-elle indignée, se demandant au passage ce que penseraient de cet avant-projet les différents chefs de la diplomatie présents dans notre pays. "Que vont dire les ambassadeurs ? Que c'est une Constitution du bled Mickey", s'est-elle désolée. Farid Abdeladim