L'explosion était forte. Tout s'est déroulé dans un climat de fête, de méga-fête comme on dit aujourd'hui, en un mot, de folie ! Des jours et des nuits durant, le peuple chantait, dansait. Ce climat et cette atmosphère sont rendus avec intelligence et justesse dans le film de notre amie Marcelline Loridan, compagne du fabuleux Joris Ivens, Algérie année zéro. Mais, aujourd'hui, c'est de Ben Aknoun, notre village natal, que nous voulons vous parler. De Ben Aknoun et des événements qui l'ont marqué avant et après le référendum de 1962. Avant la fête du 5 Juillet, nous avons dû mener avec rapidité et efficacité deux opérations urgentes. La première concernait la sécurité car, dès le 19 mars, les hordes traîtresses de l'OAS avaient commencé à assassiner de nombreux concitoyens. Les nôtres, qui revenaient des maquis ou sortaient des prisons et des camps, ont tout de suite pris les choses en main pour organiser la riposte. Surveillance des sorties et entrées du village, de jour comme de nuit, barrages de contrôle, et surtout instauration d'une discipline acceptée et respectée par tous.La seconde concernait les opérations de préparation du vote : à trois seulement, avec Akli, à l'écriture magnifique (un vrai calligraphe) et Ahcen, si rapide derrière sa machine à écrire Japy, nous avons pu en deux mois faire le recensement de la population, établir les listes électorales, préparer et distribuer les cartes d'électeurs et… miracle, pas une faute, pas une erreur, pas un oubli ! Le vote s'est déroulé dans des conditions parfaites. Après la fête, d'autres tâches aussi urgentes les unes que les autres nous attendaient. Tout d'abord, ouvrir l'école et préparer les élèves aux examens de septembre : 6e, Bepc, baccalauréat. Des bénévoles nous ont aidés, et l'école fonctionnait si bien que des enfants des villages voisins nous ont rejoints. Ensuite, organiser la colonie de vacances pour les plus jeunes. Cela aussi s'est passé à merveille. Les enfants ont reçu des tenues neuves et nous avons pu occuper les villas des colons ainsi que Club-des-Pins, de façon tout à fait naturelle et évidente. Et dire qu'aujourd'hui nous n'avons plus le droit de mettre les pieds en ce lieu ! Ou encore, et c'était le plus difficile assurément, procéder à la répartition des logements au profit des plus démunis. Après de longues réunions, tenues dans un climat serein et responsable, la distribution a eu lieu sans aucune protestation. l faut dire que nos responsables de l'époque ont donné l'exemple en ne demandant rien pour eux, alors que certains étaient pères de famille logeant à huit ou à dix dans une seule pièce. Elle est là notre école pour la justice et la démocratie ! Et puis, nous n'avons pas oublié le sport. C'est ainsi que nous avons participé au championnat de football inter-quartiers d'Alger. L'organisation était parfaite et le niveau élevé. Nous avons pu découvrir, à cette occasion, la fameuse équipe de Soustara avec Méziani, Bernaoui, Krimo, Zemmour, Belbekri. Cette équipe deviendra la grande équipe de l'USMA. Ben Aknoun n'était pas mal non plus avec les Oualiken frères, cousins ou beaux-frères. Ce que cette équipe avait de particulier, c'est que tous les joueurs sur le terrain avaient un lien de parenté et parlaient tous la même langue. Nous n'oublierons jamais ce fameux match Tixeraïne-Chéraga remporté par les premiers par 15 buts à 2. Il y avait là un adolescent, un gosse, tête rasée, chaussé de tennis banales, qui inscrivit 13 buts. Devinez son nom… Ahcène Lalmas ! Quand nous pensons à ces instants, beaux, grands, émouvants, c'est tout de suite la chanson-hymne de Farid Ali, A Yemma Azizen Ourtsrou, qui nous revient en tête. Nous nous souvenons aussi de la réponse faite à un journaliste du Nouvel Observateur. À sa question : “C'est quoi l'indépendance pour vous ?”, nous avons répondu : “À partir d'aujourd'hui, nous n'irons plus nous baigner à la Madrague entassés dans des camionnettes à bestiaux, mais en Vespa ou en Push, chacun avec sa copine assise à l'arrière, en amazone…” C'est beau la naïveté, non ? B. K.