Aucun n'a échappé à cette cabale du président islamiste ultraconservateur qui veut balayer d'un revers de la main un siècle de laïcité en Turquie. Près de trois mois après le putsch avorté contre lui, le président turc, Recep Teyyip Erdogan, accélère le rythme des purges dans le milieu de l'opposition et des militants pro-kurdes, profitant de l'état d'urgence pour justifier une vaste opération de reformatage de la vie politique en Turquie. Ainsi, plus de 12 000 policiers ont été mis à pied en Turquie, pour leur lien présumé avec l'ancien allié d'Erdogan, l'ex-prédicateur Fethullah Gülen exilé aux Etats-Unis. C'est ce qu'a indiqué un communiqué des autorités à Istanbul, repris par les médias officiels, précisant que la sanction a touché exactement 12 801 policiers "dont 2 523 gradés". Ce chiffre s'ajoute à des milliers de militaires, de magistrats, de fonctionnaires de l'éducation, de l'université et des administrations publiques, des journalistes et des militants de l'opposition, sans compter des hommes d'affaires. Ainsi, une semaine après le putsch avorté du 15 juillet, le régime d'Ankara a procédé à l'arrestation de plus de 35 000 personnes, impliquées ou soupçonnées d'appartenir au réseau des putschistes. Plus de 80 000 autres se sont retrouvées, du jour au lendemain, sans emploi. Dans le secteur de l'éducation plus de 15 000 fonctionnaires ont été suspendus durant la première semaine qui a suivi le putsch attribué à M. Gülen qu'Ankara cherche à faire extrader vainement des Etats-Unis, jetant un froid diplomatique dans les relations turco-américaines. Quelques jours plus tard, le nombre de personnes arrêtées a grimpé à 50 000, selon plusieurs sources. Dans le secteur de la justice, 87 employés de trois tribunaux d'Istanbul ont été inculpés de "financement d'une entreprise terroriste", après avoir été accusés d'appartenance au cercle de l'ex-prédicateur. Selon un dernier bilan annoncé la semaine dernière, 32 000 personnes au total ont été arrêtées, et 70 000 font l'objet d'enquêtes. Profitant de l'état d'urgence, le régime d'Ankara a fermé une vingtaine de stations de radios et de télévisions proches de l'opposition ou pro-kurdes. Des journaux ont carrément été mis sous la tutelle de l'Etat et leurs anciens dirigeants derrière les barreaux. Leur seul tort : avoir dénoncé les dérives totalitaires d'un Erdogan qui se rêve sultan d'un empire ottoman révolu et qu'il cherche à ressusciter. À l'étranger, plusieurs autres médias ont suspendu leur parution sur papier et sur internet après avoir reçu, eux et leur famille ainsi que leurs abonnés, des menaces de mort. Le cas du quotidien Zaman-France est plus qu'illustratif. Le putsch avorté de juillet se révèle en réalité comme du pain bénit pour le président ultraconservateur qui dispute, entre autres, au Qatar, le leadership de l'idéologie des Frères musulmans. Mais la purge avait déjà commencé en décembre 2013 lorsqu'un scandale politico-financier impliquant l'entourage du président turc Recep Tayyip Erdogan avait éclaté. Dans son aveuglement et sa soif du pouvoir absolu, le président islamiste est passé d'une "répression des putschistes à une intimidation de toute la société", comme l'a expliqué Jean Marcou, chercheur spécialiste de la Turquie et enseignant à l'Institut des sciences politiques de Grenoble, dans un entretien qu'il avait accordé au quotidien français Le Monde, quelques jours seulement après le coup d'Etat avorté contre Erdogan. Lyès Menacer