De qualité très moyenne, le concert ne reflétait guère l'importance de la manifestation algéro-française. Désuet, approximatif, sans éclat..., le show du 31 décembre 2002 à la salle omnisports de Bercy s'est décliné à tous les “tons” de l'imparfait. L'Algérie, qui se fait l'hôte de l'Hexagone cette année afin de la réconcilier avec son image d'Epinal et la projeter dans l'avenir d'un pays enfin débarrassé de ses démons, méritait bien mieux qu'une pâle prestation durant laquelle les feux d'artifice, les lumières des projecteurs, le scintillement d'étoiles comme Mami et Khaled et les paillettes n'ont pas réussi à redorer son blason. Pourtant, que d'enthousiasme a suscité un tel événement qui a drainé quelque 15 000 Algériens, serrant contre leur cœur nostalgique l'emblème vert et rouge d'une patrie retrouvée, l'espace d'une soirée. Il est 19h. En ce réveillon du Nouvel An, l'esplanade de la salle omnisports de Bercy, assaillie par la foule, rivalise presque avec l'avenue des Champs-Elysées. Amassées devant les guichets, des familles entières n'ont pas hésité à sacrifier le traditionnel dîner de la saint Sylvestre pour pouvoir assister au concert inaugural d'El-Djazaïr 2003. Munis de casse-croûtes achetés à la sandwicherie du coin, des centaines de jeunes s'impatientent devant l'entrée barrée par un escadron de vigiles et de policiers qui veillent au grain. Les portes s'ouvrent enfin. Pressant leurs pas, de vieilles femmes pétillantes retrouvent leur vigueur et courent pour prendre place dans les gradins. Dans la rue, la bouche du métro vomit un flux incessant qui converge vers la coupole grouillante. Dans leur quête du plaisir et de la fête, les retardataires ne prêtent pas attention aux militants du RCD-Immigration qui çà et là leur tendent des tracts. “Je suis kabyle. La Kabylie souffre, je le sais. Mais que voulez-vous, c'est l'une des occasions rares qui nous permettent, à nous immigrés, de retrouver la chaleur du pays”, dit Salah qui, accompagné de son épouse et de ses enfants, s'empresse de gravir les marches du palais. D'autres, accostés dès leur arrivée par des revendeurs, acceptent d'acheter au prix fort — le double — leurs billets au marché noir. Le spectacle en vaut-il la peine ? 20h. À l'intérieur de Bercy, dans les coulisses, le comité d'organisation s'affaire sur les dernières retouches. La scène est impressionnante. Le nombre des agents réquisitionnés pour veiller au bon déroulement du concert aussi. Cependant, au lieu d'arranger les choses, leur présence exagérée, les empiètements sur les prérogatives des uns et des autres, surtout chez les personnels de la sécurité, ont occasionné de nombreuses défaillances, notamment dans la prise en charge des journalistes. Bracelets au poignet pour les privilégiés qui ont le droit d'accès au backstage, étiquette sur le torse pour les moins nantis placés dans le public…, les représentants des médias étaient ainsi répertoriés. Un traitement de faveur a bien entendu été réservé à l'ENTV qui a dépêché son directeur de l'information à Paris pour superviser la couverture de la soirée. Côté algérien, l'événement revêt en effet un caractère solennel. Le commissaire de l'Année de l'Algérie, Mohamed Raouraoua, en est conscient. S'enquérant des préparatifs dans les coulisses, il veut que tout soit parfait afin d'honorer l'Algérie. Le spectacle en vaut-il la peine ? 21h. Noirs de monde, les gradins sont soudain plongés dans l'obscurité. Des extrémités de la salle jaillissent des étincelles de lumière. Le public exulte. “One, two, three, viva l'Algérie !”, crie la foule en délire. L'orchestre lui répond en beauté en exécutant avec brio une symphonie de Beethoven. Raouraoua, assis avec son homologue française Allaire et le président du Comité mixte d'organisation, Hervé Bourges, prononce ensuite une brève allocution dans laquelle il définit les objectifs de l'Année de l'Algérie “pour honorer ses arts, son histoire et sa diversité culturelle”, a-t-il dit. Sur la scène se succéderont en effet des artistes qui entonneront des airs de plusieurs régions, à l'instar de l'Algérois avec Naïma et Chaou, des Hauts-Plateaux avec Katchou et Houria Aïchi, du Sud avec Mohamed Laâraf et Bali, du raï avec Djenat, Bilal, Houari Benchenat, Mami et Khaled, mais sans Zahouania. Mohamed Lamari, revigoré pour la circonstance, montera aussi sur scène. Seuls les artistes kabyles brilleront par leur absence. Pourtant programmés, ni Akli Yahiatène ni Cherifa ne viendront chanter La Soummam et le Djurdjura. Koceïla, qui a pour sa part répondu présent, n'a pas pour autant réussi à pallier le désistement de ses camarades et le boycott de tous les autres, à l'image de Idir, Takfarinas et de Brahim Izri qui ont décliné l'invitation des organisateurs. Pour eux, il est indécent de montrer une Algérie en fête alors qu'en Kabylie, la répression engagée par l'Etat contre les délégués du mouvement citoyen fait plonger toute la région dans un deuil infini. La guitare au poing, Baâziz le dira en invitant le public dans l'une de ses protest songs à ne pas oublier le martyre de la Kabylie. Ce sera d'ailleurs l'unique moment où il sera question de ce drame. 22h. La fête se poursuit. En dépit de toutes les déficiences techniques, l'orchestre des cinquante musiciens dirigé par Farid Aouamer fait encore vibrer la salle. À 23h30, il cède la place à la troupe de Mami qui préfère chanter en play-back. À minuit, d'autres feux d'artifice éclairent la salle obscure. 2003 frappe à la porte de Bercy. Khaled célèbre le Nouvel An en déclinant un air triste qu'il devait normalement chanter avec Yahiatène. Malheureusement, celui-ci n'était pas au rendez-vous. La Kabylie également. S. L.