La Tunisie post-Ben Ali reste, à ce jour, un pays en ébullition. Presque huit ans après sa "révolution", impossible de trouver le mot "statu quo" dans l'actualité de nos voisins de l'Est. Que ce soit au niveau politique ou sociétal, les débats (souvent houleux) sont toujours présents. Malgré l'émergence entre-temps d'un terrorisme aux contours "syro-libyens", la Tunisie continue d'avoir cette image d'un pays avant-gardiste. À la tête de l'Etat, il y a un certain Béji Caïd Essebsi (BCE) qui a pris l'habitude de surprendre ses concitoyens. Un président dont l'âge, 90 ans, est loin d'être un handicap pour faire évoluer sa société ou pour placer des jeunes à des postes névralgiques (l'actuel Premier ministre, Youssef Chahed, a 41 ans). La dernière "bravade" de BCE envers ses détracteurs (surtout islamistes) illustre l'état d'esprit du compagnon de Bourguiba. L'ijtihad de BCE Ainsi, le 13 août dernier, tout en abrogeant la circulaire qui interdisait le mariage d'une Tunisienne avec un non-musulman, BCE, lançait un débat sur l'égalité entre femmes et hommes en matière d'héritage. Une décision courageuse même si elle n'a rien abrogé. À travers cette annonce le président tunisien s'est d'ores et déjà inscrit dans l'histoire. Comment ne pas le mentionner alors qu'il vient de faire ce qu'aucun dirigeant du monde arabo-musulman n'a osé même depuis... des siècles. BCE vient ainsi d'ouvrir les portes de l'ijtihad que ne renieraient pas de nombreux libres penseurs, à l'instar de son compatriote, Mohamed Talbi (décédé le 1er mai dernier). L'actualité a d'ailleurs été rattrapée par l'effet boomerang de la déclaration. Dès le lendemain les nombreux défenseurs de l'archaïsme et les allergiques à toute pensée critique de l'islam se sont manifestés pour dénoncer l'"outrage" du président. Et comme il fallait s'y attendre, l'effet a dépassé les frontières du plus petit pays du Maghreb. Même la grande mosquée d'El-Azhar s'est soudainement rappelée sa période inquisitrice, en fustigeant Essebsi pour ses propositions "contraires à la charia islamique". Les débats sont lancés, en attendant les résultats et les recommandations. Ces derniers temps, l'image du pays n'a pas été caractérisée uniquement par cette sortie. Cinq jours après la déclaration de BCE, la scène politique tunisienne vivait ce qui devrait être un moment majeur de son histoire. Fadhel Abdelkéfi, ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale, et qui est en même temps ministre des Finances par intérim, a présenté sa démission afin d'éviter une situation de conflit d'intérêts à la suite d'une affaire dans laquelle il avait été condamné par contumace. Une leçon d'éthique qui mériterait à elle seule un "printemps arabe". Ces derniers événements surviennent au moment où le pays reste encore englué dans une crise économique tentaculaire. L'instabilité et le terrorisme ont été les facteurs clés de la détérioration des conditions de vie des Tunisiens depuis le départ de Ben Ali. Ainsi, le tourisme, secteur clé par excellence, a subi de plein fouet les néfastes répercussions. Malgré cette situation, qui a engendré un fort taux de chômage, l'espoir (un mot que les Tunisiens se répètent souvent) est toujours là. Les touristes européens reviennent progressivement. Outre les stations balnéaires (peu fréquentées depuis l'attentat de Sousse, en juin 2015, qui avait fait 28 morts) les Tunisiens proposent d'autres "choix". Ainsi le "Tabarka Jazz Festival" a été relancé cet été après une éclipse de trois ans. Un rendez-vous qui a vu la présence de plusieurs touristes, férus de musique, venus de différents pays européens assister à des concerts de groupes de jazz hétéroclites. Ainsi, les Tunisiens s'évertuent à trouver des solutions à leurs problèmes, allant jusqu'à faire renaître des événements. À défaut de touristes adorateurs de plages et de soleil, pourquoi ne pas attirer les mélomanes et les férus ! Tout est mis en œuvre pour essayer de promouvoir la destination Tunisie. D'ailleurs cela ne concerne pas uniquement les officiels. Les citoyens essayent, et par patriotisme, de promouvoir le tourisme local, en investissant eux-mêmes les stations balnéaires. Cette année les locaux étaient ainsi les plus nombreux. Il faut dire que la notion d'Etat est loin d'être une vue de l'esprit. La Tunisie a fêté cette année le 70e anniversaire de l'abolition de la monarchie et de l'instauration de la République. Un anniversaire qui a été fêté dignement dans toutes les régions du pays. Une manière de démontrer que le peuple reste toujours... en éveil. Salim KOUDIL