Ce procès contre des citoyens revendiquant un minimum de dignité sociale restera dans les annales de l'histoire du Maroc de par sa nature politique que par les lourdes peines prononcées à l'encontre des manifestants rifains. Les manifestants du Hirak, le mouvement rifain de contestation sociale, ont été condamnés mardi soir à de lourdes, mais injustes, peines de prison allant jusqu'à 20 ans de prison ferme, à l'issue d'un procès politique que Rabat a choisi comme réponse aux revendications d'ordre social et économique. Et c'est évidemment les figures charismatiques du Hirak, dont Nasser Zefzafi, Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid, qui écopent des peines les plus lourdes, accusés à tort et sans preuves de "complot visant à porter atteinte à la sécurité de l'Etat". Dans ce procès qui a duré neuf mois, la justice a refusé d'écouter les militants du Hirak qui ont subi, parallèlement, lors de leur détention les pires sévices physiques et psychologiques pour les obliger à renoncer à défendre une vie digne dans une région marginalisée depuis des décennies par les autorités. À l'annonce du verdict qui concerne 53 manifestants, dont la peine la moins lourde est d'un an, couvrant la détention préventive, et 5000 dirhams d'amende, les Rifains sont sortis dans la rue à El-Hoceima et d'autres villes de la région pour dénoncer ce que l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH) a qualifié de "simulacre de justice", lit-on sur twitter. Ces manifestations ont été marquées par de nouvelles arrestations et des répressions à coups de gaz lacrymogène. Les photos des proches des manifestants condamnés, les montrant complètement effondrés, ont fait le tour des réseaux sociaux, en plus des messages d'indignation des Marocains, qu'ils soient rifains ou issus d'autres régions aussi marginalisées que le Rif. Car l'opinion publique marocaine dénonce depuis des mois et la colère est aussi montée dans la ville minière de Jerada, où de nombreux mineurs ont péri dans les mines abandonnées par l'Etat, faute d'un emploi stable pouvant leur garantir une vie digne. "Les décisions désastreuses de l'Etat menacent la stabilité et la cohésion du pays", a fustigé Nabila Mounib, figure de la gauche au Maroc à la tête du PSU (Parti socialiste unifié, gauche), lors d'une conférence consacrée à la contestation sociale dans le pays et aux détentions politiques, hier à Casablanca. Pour rappel, les militants rifains ont refusé d'assister aux audiences, mais ils ont été ramenés de force de leurs cellules et à maintes reprises. Les dernières audiences consacrées aux plaidoiries ont été également boycottées par les avocats de la défense par "solidarité" avec les détenus. À l'étranger, notamment en Europe, des rassemblements de soutien aux détenus du Hirak ont été organisés hier et d'autres sont programmés dans les jours à venir. Pour rappel, le mouvement de contestation rifain a commencé en 2016, après la mort d'un jeune poissonnier, écrasé par une benne à ordures en tentant de sauver sa maigre marchandise que la police lui a saisie. Mais le mouvement a pris de l'ampleur pour devenir une contestation réclamant une meilleure prise en charge du Rif sur le plan socioéconomique, après des décennies de marginalisation. Le roi Mohammed VI a usé d'abord de la carte de la répression, puis du limogeage de certains responsables du gouvernement, mais cela n'a pas calmé les esprits des Rifains qui réclamaient de vraies réformes. Incapable de répondre à des revendications, somme toute légitimes, le roi marocain a préféré jouer à fond la carte de la justice, ce qui risque d'entraîner le pays dans le chaos dans les jours et semaines à venir. Lyès Menacer