Pourtant, en vertu du code pénal, les propos de la députée Naïma Salhi sont passibles d'emprisonnement. "J'ai rendu visite à Salim Yezza et à Mustapha Ouyaba ce matin (hier, ndlr) à la prison de Ghardaïa. Ils se portent bien. La violation de la loi est flagrante dans les deux cas." Ces propos ne sont pas de proches des prévenus, mais de leur avocat, Me Salah Dabouz. Arrêté le 14 juillet dernier à l'aéroport de Biskra alors qu'il s'apprêtait à retourner en France après avoir assisté à l'enterrement de son père dans son village à T'kout, dans les Aurès, Salim Yezza comparaîtra demain à Ghardaïa pour les chefs d'inculpation d'"incitation à attroupement et à la haine". Les autorités, qui avaient délivré un mandat d'arrêt à son encontre le 10 juillet dernier, lui reprochent, particulièrement, ses publications sur les réseaux sociaux et son soutien aux militants mozabites. Quant à Mustapha Ouyaba, il comparaît aujourd'hui pour une histoire d'altercation qui remonte au mois d'avril dernier. Il est poursuivi pour "coups et blessures avec préméditation, incitation à la haine, insultes". Selon son avocat, sa plainte n'a pas été enregistrée par les autorités, contrairement à celle de son adversaire, qui n'est pas ibadite, pourtant déposée presque en même temps. Il y a un mois, c'est le blogueur, Merzoug Touati, en grève de la faim depuis quelques jours, qui a été condamné à sept ans de prison ferme pour "espionnage avec une puissance étrangère dans l'objectif de porter atteinte à la position diplomatique de l'Algérie". "Un verdict indigne même des années de plomb", avait commenté un des membres de son comité de soutien, lui-même ancien détenu dans les années 1980 et, par ailleurs, brillant journaliste, Arezki Aït Larbi. Et la liste est loin d'être exhaustive de ces activistes, adeptes d'une communauté religieuse autre que malékite, ou simplement des défenseurs des droits de l'Homme qui se retrouvent dans les mailles des filets de la justice et dont les condamnations sont, dans la plupart des cas, disproportionnées au regard des faits qui leur sont reprochés. Si prompte à réagir pour certains faits, comme par exemple pour juger de la légalité d'une grève, de la publication d'un internaute ou des déclarations d'un homme politique sur des questions d'histoire, à l'image de l'autosaisie après les propos de Saïd Sadi sur Messali Hadj, la justice algérienne observe parfois une attitude qui prête le flanc à moult interrogations et interprétations devant des faits que d'aucuns qualifient de "graves" et que la morale réprouve. C'est le cas, par exemple, de ces silences sur les scandales de corruption étalés dans les manchettes des journaux ou encore sur les propos racistes de responsables politiques, comme ceux de la sulfureuse Naïma Salhi, secrétaire générale d'un parti croupion, parti de l'équité et de la proclamation. "J'ai dit à ma fille que si jamais elle parlait le kabyle, je la tuerais !", avait-elle déclaré, il y a quelques mois dans une vidéo et pour cela elle n'a jamais été inquiétée. Pourtant, en vertu du code pénal, les propos de cette députée islamiste sont passibles d'emprisonnement. N'eût été la plainte qu'il avait déposée lui-même, couplée à une vague d'indignation et de mobilisation autant nationales qu'internationales, l'appel au meurtre pour "apostasie" du salafiste Abdelfattah Hamadache à l'encontre de l'écrivain-journaliste, Kamel Daoud n'aurait pas connu de suite. Ces traitements différenciés, s'ils charrient l'image d'une justice à double vitesse, n'en cachent pas moins la persistance de sa subordination à l'Exécutif. Et que son indépendance effective est encore à construire. "Il reste encore du chemin pour construire l'Etat de droit", admettait, il y a quelques jours, l'avocat Me Farouk Ksentini qu'on ne peut, pourtant, soupçonner de sympathie avec l'opposition... Karim Kebir