Fatiha Hammache, la quarantaine, n'avait jamais travaillé avant de devenir animatrice dans une école spécialisée dans la prise en charge d'enfants en difficulté. Elle a rejoint l'Ecole verte, établissement créé par le réseau Nada pour les enfants déscolarisés, il y a deux ans. Elle s'est formée en observant pendant des mois l'équipe d'encadrement de l'école qu'elle a rejoint pour assurer, bénévolement, un atelier de travaux pratiques. Depuis, elle se documente sur internet et travaille en étroite collaboration avec l'équipe du réseau Nada pour se professionnaliser et accompagner ces enfants qui n'ont pas trouvé leur place à l'école. Récit d'un combat qu'elle mène pour sauver un enfant rejeté par le système scolaire. "Ces deux dernières semaines, il a appris à écrire les chiffres." La gorge nouée, Fatiha perd ses mots en annonçant cette prouesse accomplie par son neveu Nordine, 10 ans. "Il peut maintenant écrire les chiffres de 1 jusqu'à 20", ajoute-t-elle, émue jusqu'aux larmes. Cet exploit n'aurait pas dû en être un, si seulement le petit Nordine avait eu une scolarité normale. Fatiha Hammache, la quarantaine, sa tante maternelle, en mesure la portée et explique être émue, parce qu'il aurait pu ne jamais y arriver. "Il a été exclu de l'école seulement quelques mois après la rentrée alors qu'il n'avait que 5 ans", confie-t-elle. Son inscription à l'école avait été un véritable moment de détresse pour ses parents mais aussi pour toute sa famille maternelle, très impliquée dans sa prise en charge. "C'est un enfant qu'on adore, qu'on cajole et qu'on suit tous de très près. Il a des qualités incroyables, une mémoire impressionnante, mais il a été cassé et marginalisé à cause d'un léger retard et d'une hyperactivité qui ont été diagnostiqués à son entrée à l'école." À l'école où il a été inscrit à ses 5 ans, la famille entre très vite en conflit avec le personnel. "Son institutrice l'a marginalisé et rejeté convoquant sans cesse ses parents pour leur expliquer que leur enfant se comportait mal, qu'il était turbulent et intenable." Sans offrir une quelconque alternative, ni même s'interroger sur les raisons de sa difficulté à s'adapter en classe, Nordine est poussé vers la porte de sortie. "Il ne comprenait pas pourquoi il était rejeté, il nous demandait sans cesse pourquoi sa maîtresse ne l'aimait pas, et c'était vraiment difficile d'y répondre." Acculés, les parents ont cessé d'emmener leur fils à l'école. "Le plus cruel, c'est que pour justifier sa déscolarisation, l'institutrice et le personnel de l'école ont refusé d'assumer son rejet. Ils ont simplement remis la faute sur nous, en disant que c'est nous qui ne le ramenions plus à l'école alors qu'ils n'ont pas arrêté de nous dire qu'il ne voulait pas de lui", s'offusque Fatiha. "Comment emmener son enfant à l'école quand on vous explique clairement qu'on ne veut pas de lui. C'est vraiment un système inhumain", ajoute-t-elle, en s'excusant de s'emporter. "Nounou est resté une année à la maison. Nous avons tapé à toutes les portes pour le scolariser. En vain. Nous avons réussi une seconde tentative de scolarisation à ses 7 ans, mais il avait cumulé trop de retard pour s'adapter et il avait également ressenti le rejet et a eu du mal à accepter d'y aller." Fatiha garde le silence quelques minutes avant de poursuivre : "El hamdou lillah, le hasard a mis le réseau Nada sur notre chemin, et maintenant Nounou a retrouvé le sourire et va tous les jours à l'école." À l'origine, une fièvre et des convulsions Nordine a fait sa première convulsion en juin 2009 alors qu'il n'était âgé que de 7 mois. Depuis, les fièvres lui provoquaient systématiquement des convulsions impressionnantes, jusqu'à ce que les médecins qui le suivaient à l'époque lui administrent un médicament antiépileptique, "le Dépakine". Pour Fatiha, ce médicament contesté par de nombreux professionnels de la santé serait à l'origine du retard que l'enfant a accusé des années plus tard. "Les convulsions étaient devenus rares grâce à ce traitement, mais nous sommes certains qu'il a eu des effets secondaires sur lui." Ses parents ont multiplié les consultations pour poser un diagnostic clair. En vain. "Nous avons frappé à toutes les portes pour lui offrir une scolarité normale. Nous étions désespérés, puis un jour la mère de Nounou a rencontré par hasard M. Araar, le président du réseau Nada, dans le cadre de son travail." Pour la famille, cette rencontre aura été salvatrice. En quelques jours, le petit Nordine se retrouve scolarisé et pris en charge à l'Ecole verte où les psychologues et encadreurs du réseau lui promettent un avenir radieux. "L'Ecole verte lui a redonné le sourire. Il apprend chaque semaine de nouvelles choses, il s'épanouit en présence des autres enfants", confie Fatiha. Depuis, tous les jours, un taxi clandestin l'attend près de chez elle, très tôt le matin. Avec son neveu, qu'elle appelle affectueusement Nounou, elle prend place dans le véhicule en direction du parc d'attractions de Ben Aknoun. Au milieu d'un terrain verdâtre, une bâtisse a été transformée il y a trois ans en établissement scolaire pour les enfants déscolarisés. Depuis qu'elle s'est engagée à y emmener son neveu, tous les jours de la semaine, sa vie a basculé. "J'y allais tous les jours pour emmener mon neveu, sa mère ayant des horaires de travail ne lui permettant pas de s'y rendre chaque matin et chaque soir pour l'emmener et le récupérer, je me suis portée volontaire pour que Nounou ait la chance d'avoir une vie normale." Une parente devenue bénévole À l'Ecole verte, l'équipe du réseau Nada s'est très vite habituée à sa présence quotidienne. "J'y allais chaque matin pour l'accompagner en classe et je l'attendais dehors pour le ramener à la maison en fin de journée", se souvient Fatiha. Au bout de quelques semaines, la dame attentive aux processus de prise en charge des nombreux enfants en difficulté, propose de devenir bénévole pour participer à leur encadrement. Le réseau Nada la forme et l'encadre, et lui offre quelques mois plus tard la possibilité de devenir animatrice bénévole. "J'étais touchée par l'histoire de chaque enfant, de chaque vie qui se jouait à l'Ecole verte", explique-t-elle encore. "Certains enfants accusent des retards, d'autres souffrent de handicap moteur et d'autres encore de troubles de la mémoire ou victimes de traumatismes dus à la perte de leurs parents et tous sont rejetés par le système scolaire." Il y a tellement d'histoires qui se cachent derrière le sourire ou les larmes de chaque enfant, que Fatiha plonge dans cette nouvelle mission comme dans un sacerdoce. "Ces enfants peuvent développer des compétences, être formés et pour certains d'entre eux avoir un métier un jour, qui s'adapte aux difficultés qu'ils rencontrent. Je trouve merveilleux de leur donner cette chance et de leur consacrer un cadre dans lequel ils peuvent exister, apprendre et jouer sans être rejetés ou montrés du doigt." Pour elle, chaque sourire qui se dessine sur le visage de ces enfants exclus du système répare la peine ressentie par des milliers de familles dont la sienne. F. B.