Cirta a eu droit hier à une véritable démonstration de force au moment où l'on soupçonnait un certain fléchissement de la mobilisation citoyenne. Plus nombreux, plus unis et plus déterminés, les Constantinois ont célébré, hier, les six mois de mobilisation indéfectible. Une communion ponctuée par une 27e marche qui a drainé des dizaines de milliers de personnes qui ont scandé, comme rarement par le passé, les mêmes mots d'ordre. Slogans qui, au-delà des traditionnelles revendications réitérées depuis le 22 février dernier, ont eu, surtout, trait au rejet de tout dialogue initié par le pouvoir, récusant donc le panel et sa composante mais aussi la perspective d'une élection présidentielle telle que défendue par le chef d'état-major de l'armée, dans les conditions actuelles du pays. D'ailleurs Ahmed Gaïd Salah continue d'être la cible privilégiée des marcheurs qui lui consacrent les plus acerbes invectives. Les Constantinois qui ont pris l'habitude d'entamer assez tardivement leur marche hebdomadaire depuis le début de l'été, particulièrement en raison de la chaleur torride qui a caractérisé cette saison, ont donc répondu massivement au rendez-vous d'hier en faisant preuve d'une détermination sans faille à poursuivre le combat pour libérer le pays du règne d'un pouvoir qui l'a précipité dans le chaos. "Echaâb yourid tahrir el bilad" (le peuple veut libérer le pays) a d'ailleurs été l'un des slogans phare de cette marche à l'instar de "Libérez l'Algérie" repris en chœur par les marcheurs toutes obédiences confondues. Compacts, les carrés de manifestants ont fini par se confondre en une procession interminable le long de l'itinéraire habituel, sillonnant l'avenue Belouizdad (ex-Saint-Jean), la rue Abane-Ramdane, les places des Martyrs et de la Pyramide. Une véritable démonstration au moment où l'on soupçonnait un certain fléchissement de la mobilisation citoyenne à Constantine, ponctuée, faut-il le souligner, par une parfaite harmonisation des mots d'ordre, slogans et chants entonnés. "C'est la légitimité politique du pouvoir qui est remise en cause" Rencontré lors de la marche d'hier à Constantine, le défenseur des droits de l'Homme et avocat Boudjemaâ Ghechir considère que pour ses six mois, "le hirak a réalisé certains objectifs dont essentiellement l'annulation du 5e mandat ainsi que quelques changements intervenus à certains niveaux du régime". Pour lui "le pouvoir en place tente à présent d'axer et d'orienter l'intérêt de l'opinion publique sur le volet économique, indissociable, poursuit-il, des poursuites judiciaires engagées contre des personnalités de cette sphère et feint d'ignorer le côté politique qui constitue l'essentiel de la revendication populaire". Boudjemaâ Ghechir pense que c'est "cette légitimité politique du régime en place qui est récusée en premier lieu par le peuple et non pas le bien-fondé économique dont peuvent se prévaloir certaines personnes incarcérées". Le pouvoir tente, à vrai dire, "de focaliser l'intérêt du peuple sur une élection présidentielle incertaine, voire compromettante pour l'avenir du pays de par le fait que les conditions nécessaires pour sa tenue ne sont guère réunies". À propos du panel pour le dialogue et la concertation, notre interlocuteur ne manque pas de reproches à l'endroit du pouvoir et de celui-ci. "En outre, il a initié (le pouvoir, ndlr) un panel de dialogue et de médiation avec des personnes inconnues au bataillon des luttes pour le changement y compris au sein du hirak. Ils ne sont même pas militants actifs des causes qui mobilisent des millions d'Algériens. Sinon comment peut-on concevoir que l'on tienne des concertations avec des gens qui ne reconnaissent même pas l'existence de détenus politiques ou d'opinion poussant l'outrecuidance jusqu'à qualifier des porteurs de drapeaux berbères de voyous ?" "Pour notre malheur, enchaîne Boudjemaâ Ghechir, dans la commission des sages on trouve des jeunes de 25 et 30 ans dont des avocats sans la moindre expérience. Je me demande si l'on peut vraiment rechercher cette sagesse chez des jeunes qui n'ont aucune expérience et n'ont jamais fait de politique pour justement parler de politique ?" L'autre aberration, selon lui, est celle de certains partis politiques qui s'alignent sur les positions du pouvoir réel critiquant ceux qui demandent une phase de transition ou encore une Constituante, pour ne pas dire qu'ils défendent corps et âme les positions du chef d'état-major de l'armée notamment celle d'aller vers une élection présidentielle dans les plus brefs délais. "C'est dire que la situation est très difficile, nous nous trouvons à la croisée des chemins et je ne sais pas personnellement comment on peut s'en sortir avec cet entêtement du pouvoir en place et son ignorance des cris du peuple". L'essentiel, conclut-il, est que "le hirak continue à faire pression sur le pouvoir en place, à dénoncer publiquement les opportunistes, à marcher, à écrire et à mobiliser autour des objectifs assignés par le soulèvement populaire du 22 février". Kamel Ghimouze