Le scrutin du 12 décembre que le régime veut organiser vaille que vaille risque de se dérouler en vase clos. C'est là un des miracles du hirak qui, depuis le 22 février, a complètement chamboulé la vie politique algérienne : le jugement du peuple est désormais craint par les politiques, les plus sérieux du moins, qui, par conviction ou par calcul, évitent soigneusement de se mettre en porte-à-faux avec la rue. La preuve ? L'élection présidentielle du 12 décembre que le régime veut organiser vaille que vaille risque de se dérouler en vase clos. Jusqu'ici, les hommes politiques, plus ou moins sérieux, qui ont fait part de leur intention de briguer la magistrature suprême sont tous des enfants du système, hormis les candidats d'apparat et autres bouffons intermittents du spectacle. Aussi, le 12 décembre prochain, le système pourrait se retrouver face à lui-même : un scrutin contrôlé de bout en bout par lui (ce ne sont pas l'instance "indépendante'' présidée par Mohamed Charfi ou le panel de Karim Younès qui, en un tour de main et comme par enchantement, vont changer quoi que ce soit aux bonnes vieilles pratiques bien algériennes en matière d'élection) et dont les principaux chevaliers, pour reprendre l'expression du président déchu Bouteflika, sont issus de ses rangs. À l'inverse, les personnalités crédibles et autonomes, issues du système ou non (Saïd Sadi, Mouloud Hamrouche, Ahmed Benbitour, Abdelaziz Rahabi, Djamel Zenati, etc.), n'ont pas montré le moindre intérêt à prendre part à une élection rejetée par le hirak, quand certaines d'entre elles, à l'image de l'ancien chef de gouvernement Ahmed Benbitour et de l'ancien ministre de la Communication Abdelaziz Rahabi, ont d'ores et déjà annoncé leur refus d'y prendre part. Même les partis ayant toujours évolué à la périphérie du pouvoir, tels le Front national algérien (FNA) de Moussa Touati et le Parti de la liberté et de la justice (PLJ) de Mohamed Saïd ou encore Ahd54 de Fawzi Rebaïne, ont décidé de tourner le dos à la joute de décembre prochain, eux qui ont l'habitude d'accourir à la rescousse du système dans une tentative de donner un semblant de diversité et de piquant aux scrutins passés. Mieux encore, les grands partis d'opposition, ceux ayant une certaine assise populaire, ont tous ou presque refusé d'accompagner un projet politique qui, à leur avis, va à l'encontre des revendications des manifestants qui, depuis plus de sept mois, réclament à cor et à cri un changement de système et rejettent l'organisation d'une quelconque élection, présidentielle ou autre, sous la férule des débris du bouteflekisme. Tous les partis démocrates (FFS, Jil Jadid, Parti des travailleurs, RCD, etc.) ont clairement dit non à toute participation au rendez-vous de décembre prochain. Il en est de même pour les deux plus grands partis islamistes, le Front pour la justice et le développement (FJD) et le Mouvement de la société pour la paix (MSP) d'Abderrezak Makri, qui refusent de concourir. Une vraie nouveauté, puisque c'est la première fois depuis l'instauration du multipartisme que les partis démocrates et islamistes, du moins ceux qui comptent sur la scène politique, boudent ensemble une élection, et jamais un scrutin présidentiel depuis 1995 ne s'est tenu sans la caution démocrate ou islamiste et, parfois, les deux à la fois. Ainsi donc, des personnalités et partis proches du système et des formations de l'opposition démocrate et islamiste se sont tous mis du côté du peuple et refusent d'apporter leur caution à un scrutin à grand enjeu pour l'actuel pouvoir. Autrement dit, celui-ci et le système dans son ensemble sont plus que jamais isolés, voire divisés, par la magie d'une révolution qui a fait de l'action pacifique et unitaire une arme redoutable.