Le cinéma, tout comme les autres domaines culturels, vit de grandes difficultés. Malgré certains exploits que connurent quelques films grâce à la persévérance de leurs réalisateurs et producteurs tenaces, le septième art souffre surtout avec la disparition des salles de cinéma. Notre confrère et auteur Nourreddine Louhal revient ici sur son dernier livre qui en parle et qui met le doigt sur ce qui fait mal, histoire de faire bouger certaines "consciences" endormies. Liberté : Pourquoi avoir republié votre ouvrage sur les salles de cinéma ? Louhal Nourreddine : Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, je tiens à préciser que c'est plutôt une réécriture globale, une réactualisation de l'œuvre initialement intitulée Sauvons nos salles de cinéma (éd, Fcnafa 2013). Par Acte II, j'ai voulu signifier qu'il y a du nouveau grâce notamment aux technologies nouvelles qui enrichissent ce 7e art. Autre innovation, j'ai inclus les salles de cinéma de la banlieue d'Alger en plus de celles de Boufarik, de Draâ Ben Khedda, Tadmaït, Sétif et de Tébessa. La première édition est parue à l'occasion de la tenue de la 13e édition du Festival national culturel du film amazigh (Fcnafa) qui s'était tenue en mars 2013 à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou en hommage à Abderrahmane Bouguermouh. Le livre fut offert aux professionnels présents ainsi qu'aux festivaliers. Le stock a vite été écoulé, ce qui m'a quelque peu culpabilisé, d'autant plus que beaucoup de personnes le réclamaient, surtout les étudiants du 7e art. Je veux aussi raconter ces moments de joie à nos jeunes qui n'ont pas vécu une séance de projection de film dans l'intérieur feutré d'une salle de cinéma…
Justement, quel a été le souvenir déclencheur de ce travail de mémoire ? Cela a fait "tilt" en moi lors d'une projection dite "cinima tâa elhite" à laquelle j'ai assisté sur l'esplanade de la Grande-Poste lors d'une veillée de Ramadhan de l'hiver 2001. En ce sens, ni la pluie ni le vent n'ont dissuadé les grappes de cinéphiles, pour la plupart des séniors, qui s'agglutinaient au pied de l'écran. Et il a fallu le ciel azuré du film Les vacances de l'inspecteur Tahar (1973) du regretté Moussa Haddad pour que la nuit s'illumine sur notre cinéma que l'on a oublié. L'entraînante musique de feu Ahmed Malek avait scotché le public à la magie de l'image qu'il n'a quitté qu'au générique de la fin. Quant à moi, j'ai refait le chemin inverse, du jardin de la Grande-Poste jusqu'à l'estuaire de la rue Ali-Boumendjel où les enseignes du Paris, le Midi-minuit, le Lux, le Régent, le Casino, l'Olympia et le Marivaux étaient toutes éborgnées par ceux-là même qui sont comptables aujourd'hui de l'état de leur déliquescence. Mais le cinéphile algérien doit-il se suffire d'une projection en plein air, alors qu'il avait autrefois le loisir et le choix d'un inventaire de salles de cinéma qui faisait rêver plus d'un pays du bassin méditerranéen ? Que sont devenues ces salles de cinéma aujourd'hui ? Cela semblait aller bien pour le Mouggar avant qu'il ne ferme dans l'optique du chantier en cours de l'hôtel Safir (ex-Aletti). Autre ineptie, les salles de cinéma Afrique (ex-Empire) et le Sierra-Maestra (ex-Hollywood) ont fait l'objet d'une fermeture qui a duré toute la durée du mandat électoral de l'ancien maire de Sidi M'hamed avant qu'elles ne soient reprises récemment par l'ONCI. À celles-là s'ajoutent aussi les cas d'El-Khayam (ex-Debussy) et Ethaqafa (ex-ABC) qui brillent cahin-caha de leurs enseignes. Quant à l'Olympia, le musée du cinéma arabe s'est avili avec la retransmission de matchs de football de Ligues étrangères. Néanmoins, il y subsiste une lueur d'espoir avec la formule quotidienne des matinées de 13h, 15h et 18h de la Cinémathèque algérienne à la rue Larbi-Ben M'hidi. Certes, c'est peu mais c'est toujours bon à prendre. Que faut-il faire pour sauver ces salles ? Surtout cesser d'avancer cet alibi mensonger qui revient tel un leitmotiv : "L'avènement de la vidéo, l'antenne parabolique et leur corollaire de CD et de DVD ont éliminé de l'agenda culturel du citoyen, les sorties au cinéma", alors que c'est faux ! S'il en est une preuve, celle-ci s'illustre par les longues files d'attente aux guichets de la salle Ibn-Khaldoun et les salles de Riadh El-Feth où il y a non seulement le confort requis, mais aussi la qualité des films proposés, notamment les avant-premières. C'est dire que le cinéphile sénior se réconcilie peu à peu avec les projections en salle, et à ses côtés nos jeunes qui ont tendance à sortir en couple ou en groupe. Comment sensibiliser les autorités concernées ? Quoi de plus horrible et expressif que l'actuelle image dévalorisée et dégradante de nos salles de cinéma qui, hélas, ne se suffisent plus de mots mais ont besoin d'actes concrets de la dimension d'un "plan Marshall" pour la sauvegarde d'un legs que l'on perd un peu plus chaque jour que Dieu fait ! Le cas est concret à Belouizdad où il n'y a plus aucune salle ouverte, alors qu'à Bab El-Oued, il ne reste plus que La Perle, l'actuelle (El-Houria) qui a été transformée en salle des fêtes. À ce propos, l'avilissement de nos salles de cinéma est l'argument idéal pour convaincre l'autorité à reconsidérer la décision de confier les salles obscures à l'opérateur privé qui n'a pas l'abécédaire de gestion. En matière de résultat, on est loin de l'objectif escompté, comme la sauvegarde d'un legs qui est en train de nous filer entre les doigts, surtout que nous n'avons pas la technologie nécessaire pour sa reconstruction à l'identique. Comment redonner goût à cet art aux générations d'aujourd'hui éprises d'internet ? L'idéal serait d'ouvrir ces espaces de lumière et de donner leur gestion aux professionnels du 7e art. Ceux-là même qui ont vécu leur vie durant l'œil rivé à l'œilleton de leur caméra et qui savent ce qu'il faut faire pour séduire le cinéphile et le scotcher à son strapontin. Mieux, une salle de cinéma peut également offrir l'hospitalité à des activités annexes, à l'exemple de halls-librairies et tout ce que cela suppose d'après-midis littéraires et de ventes-dédicaces. Il ne faut pas perdre de vue qu'une salle de cinéma est essentiellement porteuse de richesse culturelle et aussi source d'emploi. C'est aussi et surtout un vecteur matériel essentiel pour booster une vie culturelle bien moribonde aujourd'hui.