La mouture du projet de révision constitutionnelle est loin visiblement de répondre aux attentes de nombre d'acteurs politiques et de la société civile. Une semaine après sa distribution par la présidence de la Républiques aux partis, aux personnalités, aux syndicats et à la société civile, la mouture de l'avant-projet de révision constitutionnelle est loin visiblement de répondre aux attentes de nombre d'acteurs politiques et de la société civile. Non seulement la mouture est "obèse", pour reprendre la constitutionnaliste, Fatiha Bennabou, — elle est passée de 218 articles à 240, alors qu'elle est censée être courte et concise — mais le contexte de la pandémie et les inquiétudes que suscite la situation socio-économique ne sont pas de nature à créer les conditions d'un large débat. À cela s'ajoutent ceux qui refusent de s'inscrire dans la démarche compte tenu du climat politique ayant entouré son élaboration. "Le contexte n'est pas idéal pour un débat assez large autour d'une telle loi. Cependant, nous pouvons dépasser cette contrainte si chacun fait preuve de sincérité et de bonne foi en présentant des propositions de manière démocratique et en ouvrant un débat général avant l'élaboration de la mouture finale et sa validation par un vote référendaire", soutient Mabrouk Issad, président du Syndicat national des magistrats (SNM). "Le timing choisi n'est pas bien en raison de la pandémie. La Constitution n'est pas un texte ordinaire, c'est un pacte entre la société et les institutions de l'Etat. Les Algériens sont sortis pour l'application des articles 7et 8 de la Constitution. Mais où est la souveraineté populaire ? C'est une démarche unilatérale imposée par le haut", souligne, pour sa part, l'avocate Zoubida Assoul, présidente de l'UCP. Islamistes : la guerre idéologique Alors qu'une bonne partie du hirak avait veillé, durant les manifestations, à éviter les polémiques sur les questions idéologiques, les islamistes représentés au sein de certains partis ne perdent pas de vue cet aspect illustré à travers notamment leur dénonciation du "caractère hybride" du régime qui tranche avec le régime parlementaire qu'ils souhaitent. Dans ce cadre, il est utile de relever que l'attribution de larges prérogatives au président de la République au détriment du Parlement sont dictées par le souci d'éviter le scénario des années 1990. Dans sa première réaction, le parti FJD, d'Abdallah Djaballah, annonce qu'il procédera à une étude approfondie de la mouture pour se prononcer sur sa conformité "aux principes de l'Islam, de la déclaration du 1er Novembre et aux aspirations du hirak". Le FJD regrette l'absence de référence à la mise à l'écart politique de ceux qui sont responsables de la fraude et de la corruption et dénonce le "caractère hybride du régime politique, imposé par les Constitutions précédentes et consacré par celle de 2016", notamment la consécration de la primauté du pouvoir exécutif, "sans considération pour la majorité populaire". Dans un communiqué qui a sanctionné une réunion de son bureau exécutif, le MSP, pour sa part, considère que le document "prive la majorité de son droit à la gestion" du pays, de même qu'il "ne fait pas obligation de nommer le chef du gouvernement de la majorité". Il critique ainsi l'"opacité" qui entoure le poste de vice-Président. Il s'inquiète également d'un possible recul sur l'acquis relatif à la liberté de création des associations et sur la liberté de la presse sous toutes ses formes. Ayant pris une "orientation populiste", la mouture, selon le parti d'Abderrezak Makri, a conservé le "rôle important des institutions désignées notamment celles administratives au détriment des assemblées élues (…)". Arrivé deuxième lors de la dernière présidentielle, Abdelkader Bengrina qui se considère comme la "première force d'opposition", ne cache pas son hostilité à l'insertion de tamazight comme disposition qui ne peut faire l'objet de révision. "La langue nationale officielle est une, et elle n'est pas sujette à discussion et débat et à se soumettre aux groupes de pression", dit-il même s'il estime paradoxalement que le "document doit consacrer les revendications du hirak". Les démocrates tournent le dos à la démarche Sans surprise, les démocrates refusent de débattre du contenu de la mouture dans laquelle ils perçoivent les velléités d'un recyclage du régime. À l'unisson, ils considèrent que le projet tourne le dos à la souveraineté populaire. Qualifiant de "triturations" les dispositions introduites, lesquelles visent à "tenter de sauver le système en place", le RCD soutient, dans un communiqué publié jeudi, qu'il ne "saurait s'inscrire dans une démarche qui tourne le dos à la souveraineté du peuple et à son droit inaliénable de refonder son Etat et de se donner les institutions de son choix". Plus tôt, le PAD observait, lui aussi, que la crise de légitimité qui frappe le régime ne peut être réglée par des mesures de replâtrage. Une absence de souveraineté qu'incarne la possibilité accordée au président de la République de désigner un vice-Président, comme le relève le professeur Redha Deghbar. "Il semble que le pouvoir veut constitutionnaliser son choix du Président sans passer par la légitimité populaire. Si on consulte les articles 95 et 98 ( le Président peut désigner un vice-Président), on constate qu'on peut avoir un Président sans passer par les élections. C'est déplorable. Ceux qui ont fait cette proposition ne prennent pas en compte les articles 7 et 8", dit-il dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, avant de rapeller que la mouture ne fait pas référence à la prestation de serment requise à toute personne qui hérite du poste de Président. Selon lui, les rédacteurs ont manqué de "vision" et le pouvoir "n'a pas de conception claire". Seul, pour l'heure, Soufiane Djillali trouve "qu'il y a des avancées" dans la mouture en affichant sa préférence pour un régime semi-présidentiel. "Le régime semi-présidentiel pour lequel a opté la commission Laraba est le mieux adapté à la réalité algérienne", dit-il non sans s'interroger toutefois sur l'institution du poste de vice-Président. Au regard de ces réactions, faut-il conclure que la démarche est déjà plombée et que le consensus souhaité s'annonce laborieux ? Si la commission présidée par Laraba a eu le mérite d'admettre dans l'exposé des motifs qu'elle a renoncé à certaines propositions (suppression du tiers présidentielle, légifération par ordonnance pour le Président, un chef de gouvernement avec son programme et distribution du pouvoir de désignation entre lui et le Président) car "pouvant conduire au changement de la nature du régime politique, ce qui sort des axes de la lettre de mission fixée par Tebboune", Fatiha Bennabou évoque l'absence d'une classe sociale hégémonique à même de porter le projet national. Si la durée d'une semaine s'avère très courte pour mesurer toute l'appréciation que se font les uns et les autres de la mouture, il reste que la quête d'un consensus s'annonce comme un véritable saut d'obstacles.