L'accueil réservé à la nouvelle initiative politique de l'Egypte sur la Libye, aux niveaux régional et international, renseigne sur la complexité d'un conflit que les ingérences étrangères ont transformé en guerre par procuration. La "déclaration du Caire" du président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi, déclinée lors d'une conférence de presse samedi, a suscité des réactions divergentes allant du rejet catégorique, par certaines parties, au soutien de la proposition égyptienne, qui intervient au lendemain de la défaite cinglante de Khalifa Haftar dans l'Ouest libyen. Cette proposition, qualifiée de "tardive", par Fathi Bachagha, le ministre de l'Intérieur du Gouvernement d'union nationale (GNA, Tripoli), ne semble pas emballer l'Algérie non plus, qui a affirmé, dans un communiqué dimanche soir, avoir "pris acte", en rappelant le "principe d'équidistance" qu'Alger observe depuis toujours vis-à-vis des différentes parties libyennes en conflit. Si le soutien de l'Egypte à Khalifa Haftar peut être justifié par la longue frontière qu'elle partage avec la Libye, ainsi que par la lutte contre le terrorisme, l'annonce par Al-Sissi de son initiative politique, en présence de Khalifa Haftar et d'Aguila Salah, le président du Parlement de Tobrouk, (sans inviter le GNA), le discrédite de fait aux yeux d'une partie des acteurs dans la résolution de la crise libyenne. Ce qui expliquerait en partie la position de l'Algérie qui n'exprime ni soutien direct ni rejet total de l'appel d'Al-Sissi à un cessez-le-feu en Libye et l'élection par les Libyens d'un nouveau Conseil présidentiel. Le communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères affirme, en effet, avoir "pris acte de la dernière initiative politique en faveur d'un cessez-le-feu immédiat et d'une solution politique à la crise libyenne", sans faire la moindre référence à l'Egypte, mais réitère surtout "son attachement au rôle axial des pays voisins afin de rapprocher les vues entre les frères libyens, à la faveur d'un dialogue inclusif en tant qu'unique voie pour rétablir la paix en Libye et garantir son unité et son intégrité territoriale". Soucieuse de préserver l'unité de la Libye et la stabilité de la région, l'Algérie a encore insisté sur l'impératif d'un retour au dialogue politique loin de toute ingérence étrangère. Sur le plan diplomatique et discours officiels, Le Caire et Alger se rejoignent, mais sur le terrain, leurs positions sont diamétralement opposées, puisque l'Egypte est engagée militairement dans l'Est libyen, en menant plusieurs frappes ciblées contre de présumées positions terroristes et fournit de l'aide logistiques à Haftar dans sa guerre contre le GNA. Les rapports successifs des ONG et des experts de l'ONU ont pointé du doigt l'implication égyptienne dans les violations répétées de l'embargo onusien sur les armes, en vigueur en Libye depuis 2011. Loin d'être le seul pays à violer cet embargo, le rôle de l'Egypte dans l'aggravation du conflit demeure crucial, en tant que pays voisin. Engagée dans une guerre sans merci contre la mouvance des Frères musulmans, l'Egypte a du mal à rassembler autour de son initiative l'ensemble des acteurs impliqués dans la crise libyenne. Car, l'idéologisation de ce conflit a entamé la neutralité du Caire dans sa gestion de ce dossier et l'a éloigné d'une partie des Libyens, représentés par le GNA, accusé d'être à la solde de la Turquie et de l'idéologie des Frères musulmans. La Turquie, par le biais de Yasin Aktay, un conseiller du président Erdogan, a affirmé qu'"il est triste et regrettable de voir de telles conférences de presse, dont les organisateurs cherchent de toutes leurs forces à insuffler la vie dans le corps d'un mort et des âmes épuisées", en référence à la conférence de presse organisée par Al-Sissi conjointement avec M. Haftar et Aguila Salah. Du côté du GNA, Fethi Bachagha a exclu, lors d'une intervention télévisée dimanche soir, toute chance d'un soutien à la proposition égyptienne, affirmant qu'"il n'y a plus aucune place pour Haftar dans les discussions futures", rejetant "l'ingérence de l'Egypte dans tout ce qui concerne les Libyens". Contrariée dans son plan de soutien à Haftar, contre le GNA, la Russie a apporté hier, par la voix de son ministère russe des Affaires étrangères, son soutien à la nouvelle initiative de paix égyptienne, affirmant qu'elle devrait être le "principal forum pour décider de l'avenir du pays", remettant indirectement en cause le dialogue onusien engagé à Genève, dans le cadre du "comité militaire 5+5". Au final, la "Déclaration du Caire" est perçue comme une tentative de sauver Haftar d'un naufrage certain, plus qu'elle n'aspire à trouver une solution définitive à la guerre qui ravage la Libye depuis 2011. Lyès Menacer