Spécialiste reconnu des questions énergétiques, Ali Kefaïfi aborde dans cet entretien la problématique liée au développement du domaine minier en Algérie. Liberté : Un nouveau ministère dédié exclusivement au secteur minier vient d'être mis en place. S'agit-il d'un axe de développement stratégique pour cette importante filière ? Ali Kefaïfi : Ce problème de délimitation des périmètres des ministères économiques, dont le périmètre industriel au sens large, c'est-à-dire industrie-énergie-HC-mines, est classique dans les économies émergentes. Il existe plusieurs options face aux défis identifiés dans de nombreuses études stratégiques (augmenter à 5 ou 6 % les taux de croissance, nécessaire compétitivité, faiblesse depuis les années 70 de la productivité totale des facteurs, diversification économique, transitions économiques et environnementales post-pétrolières, nécessaire relance économique à MT, nouveau cycle économique mondial de Kondratiev, depuis 2000 Etat rentier et absence de vision/prospective/stratégies/gouvernance/coordination, etc.). Face à ces nombreux défis et risques, la solution retenue a probablement consisté à "départementaliser" verticalement ces ministères sectoriels (industrie, HC, transitions énergétique et environnementales, mines) et à en renforcer la coordination stratégique (ministère Prospective) et l'unicité de direction et de coordination (Premier ministère). Ce nouveau cap en faveur du secteur minier serait-il une politique de long terme ou bien un besoin conjoncturel dédié à réévaluer le potentiel du domaine minier national ? Ce nouveau cap en faveur du secteur minier ne peut qu'être le choix réfléchi d'une politique de long terme. En considérant seulement le potentiel minéral algérien en surface, sans parler du potentiel minier souterrain, l'Algérie pourrait accéder dès 2025-2030 au statut de grande puissance minière, et ce pendant un demi-siècle, voire un siècle. Pour cette politique minière, il est clair qu'il ne s'agit pas seulement d'évaluer le potentiel du domaine minier national mais d'une politique globale (validation de la prospection, exploration, développement, minéralurgie), nonobstant les autres étapes de la chaîne de valeur minière (métallurgie, industries aval, autres secteurs économiques). Certaines études parlent d'un énorme potentiel en ressources minérales laissé en jachère, faute d'une stratégie et d'investisseurs. Est-ce réellement le cas ? Ce qui est sûr, c'est que les ressources minérales ne datent pas d'hier mais sont là depuis un milliard d'années ou plus au Sahara, et depuis plusieurs dizaines (ou une centaine) de million d'années au Nord. Que ce soit dans le secteur pétrolier ou minier, les insuffisances renvoient à diverses causes, dont l'absence de stratégies ou d'investisseurs, mais aussi à l'absence de gouvernance, en dépit de nombreuses compétences individuelles, marginalisées ou condamnées à l'exil professionnel. En fait, il y a des raisons objectives et des raisons subjectives, et de même des insuffisances structurelles et d'autres conjoncturelles. D'abord, pourquoi les richesses minérales répertoriées et découvertes en terre algérienne, tels le minerai de fer, le phosphate, le manganèse, n'ont pas été exploitées ? Un siècle d'expérience universelle sur la métallurgie des minerais de fer phosphoré aurait dû nous inciter à persévérer dans cette déphosphoration à l'acide sulfurique ou dans la recherche d'autres options industrielles. A Annaba (Asmidal), le phosphate fut transformé en acide phosphorique avec un procédé utilisant l'acide sulfurique. Où étaient et où sont les laboratoires et les chercheurs de l'université algérienne ? Aussi, pourquoi l'immense et incroyable potentiel algérien de minéraux n'a pas été recherché et découvert ? Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Sur le plan des ressources humaines, le secteur avait perdu depuis les années 80 une grande partie des centaines de géologues et d'ingénieurs formés, notamment à l'étranger (Russie, Canada, Belgique, Allemagne, France, etc.). Sur le plan de la stratégie en matière de recherche minière, l'accent était mis essentiellement sur les gites et gisements filoniens, laissant de côté les gisements diffus, porteurs de richesses à l'image des hydrocarbures non conventionnels qui ont permis aux USA de renouer avec la production pétrolière et minière dès 2006. Selon le professeur Nacereddine Kazi Tani, à titre d'exemple, l'Algérie possède quelque 24,5 milliards de tonnes de minerai de fer dans le Paléozoïque du Sahara, malheureusement passablement phosphoré mais encore plusieurs milliards de tonnes de magnétite, quant à elle parfaitement saine, dans l'extrême nord du Hoggar et surtout sous forme de minéralisation diffuse de pyrite (disulfure de fer) dans le Silurien du Sahara à raison de 70 millions de tonnes au km2 ! Et autant de soufre. Ce qui en fait l'accumulation la plus importante dans le monde en ces deux éléments. On peut multiplier les exemples (vanadium, uranium, nickel, chrome etc..) et constater l'insolente richesse minière de l'Algérie à propos de laquelle on peut, sans exagération aucune, parler de scandale géologique. Mais l'Algérie se classe derrière nos voisins pourtant bien moins dotés tels le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie ou le Mali et le Niger. De plus, elle n'exerce aucune attractivité vis à vis des investisseurs étrangers, généralement friands de wolfram, d'étain, de coltan et autres métaux précieux depuis longtemps évalués dans le Hoggar. Pour conclure cet aspect des choses, citons le cas de la potasse. Le Maroc et l'Algérie disposent de ressources de potasse (la preuve dans les innombrables puits forés et diagraphies), le Maroc avec un gisement de 60 kmx40 km et l'Algérie avec un gisement de plus de 300 km x100 km. Le Maroc compte développer en 2021 sa mine en découverte dans les années 50. Par contre, il y a un an, Asmidal (Algérie) avait un projet d'usine de fabrication de sulfate de potassium à base de chlorure de potassium importé, ignorant que l'Algérie dispose de ressources faramineuses en chlorure de potassium. Ce minéral, aisément produit par dissolution, aurait permis à l'Algérie de se classer parmi les 3 premiers exportateurs mondiaux, avec le Canada et la Biélorussie, et avant la Jordanie. Pourquoi ? Evidemment, on avait "neutralisé" l'ORGM en la rendant "entité commerciale", tout comme l'IAP, et ce contrairement aux pratiques universelles (USGS aux USA, BRGM en France, etc.) où les organismes tels l'ORGM constituent la prunelle des yeux de l'Etat minier. Et quid de la mutualisation des moyens géoscientifiques de Sonatrach/CRD et de l'ORGM ? Ce regain d'intérêt pour les richesses minérales ira-t-il jusqu'à développer une réelle chaîne de valeur, impliquant à la fois l'exploration, l'exploitation, l'industrie, la transformation et l'exportation ? La nécessité de développer la chaîne de valeur économique (cf. études de la Banque Mondiale) corroborée par les résultats statistiques de l'économie US). En 2019, aux USA, la production minière a atteint 86,3 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter 36 milliards de dollars de métaux recyclés, soit 122 milliards de dollars au total. Les minéraux transformés (minéralurgie, métallurgie) ont atteint 770 milliards de dollars (soit un taux de valorisation de la VA de 600%). La VA des secteurs consommateurs de minéraux transformés a atteint 3130 milliards de dollars, soit près de 4 fois la valeur des minéraux, et globalement 25 fois plus. Outre la maladie hollandaise, ces chiffres montrent que l'objectif stratégique réside dans la réalisation de la chaîne de valeur mines-métal-économie, avec la politique minière extractive.Cette œuvre stratégique de longue haleine couvre plusieurs domaines : vision, diagnostics stratégiques, identification des défis, axes stratégiques, programmes, structures de mise en œuvre. Les programmes recouvrent plusieurs domaines, institutionnels, organisation et facilitation de la sphère économique, développement des ressources humaines, R/D innovation, territoires (zones/minéraloducs/ transports), environnement, activités post-exploitation minière. S'y ajoutent, la matérialisation nationale de la chaîne de valeur globale depuis la recherche minière jusqu'à l'exportation, la substitution aux importations et le développement d'industries en aval, dont celles orientées vers les technologies digitales, les transitions énergétiques et environnementales, et les industries liées à la défense nationale. De précédents investissements dans l'exploitation de certains gisements miniers, dont l'or à Tamanrasset, se sont révélés une escroquerie sans commune mesure ; comment faire pour que de telles opérations soient évitées à l'avenir ? Ces arnaques ont porté sur le gisement d'or convoité par une petite entreprise australienne et sur l'uranium convoité par une entreprise canadienne quasiment sans actifs, avec un siège social dans un bureau loué au Canada et son unique véhicule loué à Avis ou Hertz ! De telles opérations (et leur inspirateur) sont à bannir sur tous les plans et avec tous les moyens (loi, réglementation, choix des responsables, gouvernance, liste des minéraux et activités stratégiques, etc.) non pas seulement parce qu'elles sont illicites mais aussi, parce que le futur potentiel "inferred ou déduit" correspond selon le professeur Nacereddine Kazi Tani à plus de 300 gites d'or, et non pas 2 seulement, puis à 9,2 milliards tonnes d'uranium, et non pas 26 000 tonnes seulement. Faut-il refaire la loi minière pour permettre un meilleur cadrage de l'investissement national et étranger dans le secteur ? De manière globale, la question de refaire ou d'actualiser un texte législatif ou réglementaire peut se poser dès lors qu'il y a des changements structurels ou des défis majeurs. Pour ce faire, on pourrait citer les aspects liés à l'accélération et l'extension de la recherche minière, la conformité avec les standards professionnels internationaux (définition des ressources et des réserves, études de conception, de préfaisabilité, de faisabilité, experts qualifiés pour la certification des ressources et des réserves), aux acteurs (juniors entreprises, JV, etc.), à la liste des matériaux et des activités stratégiques, etc. Peut-on parler de l'après-pétrole par les mines et quels sont les minéraux avec lesquels l'Algérie pourrait peser sur le marché mondial ? Dans les pays industrialisés, la notion d'après-pétrole est essentiellement liée à la transition environnementale (énergies renouvelables, etc.). Pour l'Algérie, le pétrole, même celui encore piégé dans la roche, sera au moins utile, si économiquement compétitif, pour réaliser la transition énergétique. Selon les données économiques dont nous disposons, et si efficacement utilisées, la chaîne de valeur minière peut aisément remplacer le pétrole à partir de la période 2025-2030. Selon les estimations faites, et nonobstant le potentiel minier en surface (révélé par télédétection, stratigraphie, diagraphies existantes, mesures géophysiques existantes), les minéraux des roches mères en surface valent plus de 20 fois ce que rapporterait le gaz non conventionnel. S'agissant des minéraux avec lesquels l'Algérie pourrait peser sur le marché mondial, il suffirait d'en citer 2 ou 3 (vanadium, lithium, terres rares). Cependant l'Algérie des chouhada a, grâce à leur sacrifice, pu récupérer la propriété éternelle de plusieurs minéraux stratégiques (pour l'économie, pour les industries stratégiques de la défense nationale, pour la géostratégie, etc.). Il n'est pas opportun de les lister tant ils sont nombreux, à très haute valeur minière ou métallique (exemple 6000 dollars la tonne pour le cuivre métal) et très demandés (métaux dits critiques pour les pays industrialisés ou émergents dont les USA, l'UE, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, l'Inde). Dans un très proche avenir, les laboratoires officiels nous confirmeront que les mythes aux yeux de certains observateurs passifs n'étaient que réalité pour ceux qui y œuvraient depuis plusieurs décennies. Entretien réalisé par : Ali Titouche