Par : Dr Mohamed Maiz Universitaire Dans sa dernière sortie médiatique sur l'Algérie, Mme Le Pen conseille au pouvoir algérien, qui demande des excuses de la France pour son passé colonial, de regarder le présent : "Il est temps qu'ils regardent en face le résultat des 60 années d'indépendance." Certes, le résultat est très peu reluisant, il est même très loin des espérances des générations qui se sont sacrifiées pour arracher la liberté des griffes du colonialisme français. Mais cela reste un combat que mènent les Algériens depuis justement ces 58 ans pour un idéal de liberté, de prospérité, de justice et de démocratie. C'est un combat d'Algériens pour les Algériens ! C'est un combat de toutes celles et de tous ceux qui sont restés fidèles au serment de Novembre et des générations de combattants qui ont, par leur dévouement pour la patrie, l'honneur et le sacrifice de millions d'entre eux, combattu et chassé les Le Pen, Aussaress, Bigeard et autres au prix, de souffrances et de sang versé pour la LIBERTE. Mais, pouvez-vous, vous aussi, regarder en face ce que vos ancêtres, ce que votre père, dont vous héritez la moitié de son matériel génétique, de tortionnaire, ont fait subir à ces Algériens qui, aujourd'hui, semblent vous émouvoir ? Je vais vous faire une petite leçon d'histoire qui peut-être vous servira, un jour, pour mieux comprendre et apprendre votre propre histoire. Mais d'abord le contexte international, dont votre pays, la France, a grandement contribué à l'imposer à nous, pays qui venait tout juste de se libérer ! L'unipolarité, qui caractérise le système actuel des relations internationales, consacre la domination des pays de l'Alliance atlantique. L'effondrement du bloc socialiste, l'absence de contrepoids significatif sur la scène mondiale depuis la tombée en désuétude du Pacte de Varsovie et la défaillance de l'ONU sous les coups de butoir de l'usage abusif du droit de veto sont autant d'éléments qui ont pavé la voie au règlement des affaires mondiales par la force. Les réactions tardives, qui ont pris la forme des Brics, de l'organisation de la coopération de Shanghai, du sursaut russe en Ukraine et en Syrie pour contrecarrer son encerclement par l'hégémonisme américain, et la prometteuse route de la soie chinoise, sont trop récentes pour espérer des retombées, à court terme, susceptibles de rééquilibrer, dans le sens d'un plus grand respect des souverainetés nationales, le processus décisionnel international. La prédominance, collective, outrancière, des pays ligués au sein de l'Otan et l'aisance que leur procure l'omnipotence d'une unipolarité qui autorise tous les dépassements, les ont conduits à décider, unilatéralement, de la reconfiguration de la carte du monde à leurs convenances. Partie prenante de ce clan mondial qui privilégie ses intérêts, étroits, au détriment des laborieux équilibres, géostratégiques, issus des turbulences de la période de l'après-guerre, la France, toute à ses calculs de gains, est devenue, pour avoir sous-estimé les conséquences de sa participation aux aventures guerrières, une cible de la violence terroriste. Le peuple français aspire tout naturellement à la paix. Pour son malheur, du fait de ses dirigeants et de ses politiques haineux et racistes, dont vous êtes une figure de proue, il est désormais condamné à cohabiter avec une insécurité latente, conséquence de l'aventurisme d'un pays qui, apparemment, n'a pas encore tout à fait tiré, depuis l'épopée napoléonienne, les leçons des revers militaires qui ont marqué son histoire. La France du XXIe siècle, ferrée dans un suivisme atlantiste qui rompt avec la perspicacité, la hauteur de vues et l'esprit d'indépendance et de souveraineté gaullistes, est dans le sillage, au plan de la conception des relations internationales, de celle du XIXe qui arborait pavillon colonialiste. La terrible pacification, par les exactions, qui a suivi l'expédition coloniale de 1830, n'a pas fait dans le "détail de l'histoire" comme dirait votre père : tueries de masse, mutilations comme trophées de guerre, enfumades et emmurades de tribus entières, razzias, destructions de récoltes, déportations, dépossessions foncières... Traumatisés par Dien Bien Phu et ridiculisés par "Suez", les tortionnaires de la Bataille d'Alger ont eu, sous la responsabilité de leur Etat, pour hauts faits d'armes, d'avoir institutionnalisé la pratique odieuse de la torture sur des combattants de la liberté, devant lesquels se serait, probablement, agenouillé, par déférence à la similitude et à la noblesse du sacrifice, le symbole de la résistance française, Jean Moulin. Or, la voilà rattrapée par son histoire qui présente, quelques deux siècles plus tard, à une France, médusée jusque-là, sûre de la solidité, de la cohérence et de la cohésion de sa construction sociétale, la facture de ses errements coloniaux. Colonie de peuplement, l'Algérie a subi la pire politique de déculturation et de dépersonnalisation qui soit : démolition des mosquées et prolifération d'églises, falsification anthropologique affublant, dès l'école, les Algériens d'ancêtres gaulois, propagation de la culture du colonisateur au détriment des fondamentaux identitaires locaux, profanation de cimetières, prosélytisme des missionnaires, apostasies forcées... Ce carnage à grande échelle répondait au souci d'une phagocytose identitaire du peuple algérien, colonisé. L'échec patent de cette velléité spoliatrice est révélateur de son inanité. Au motif non perçu par les idéologues, que l'identité est une ténacité génétique. Cette réalité anthropo-culturelle est, d'un certain point de vue, transposable aux familles émigrées, réfugiées par souci de préservation culturalo-identitaire, dans le ghetto protecteur, du communautarisme. Car, au lieu d'appréhender la diversité culturelle, à l'image des pays nord-américains, comme une richesse patrimoniale, la conception dominante qui emprunte à la frilosité raciste et que traduisent, imparablement, les scores électoraux de votre parti, xénophobe et immoral, la perçoit, plutôt, comme une impureté venue, comme un corps étranger dans un organisme, polluer la blancheur immaculée, le blond de la chevelure et les yeux azur de l'espace chrétien gaulois. La radicalisation d'une partie de la jeunesse française, d'origine arabe, laissée pour compte dans les banlieues mouroirs, érigées pour dépoussiérer le centre BCBG, d'une "racaille" à traiter au "karcher", ne demandait qu'à germer sur le terreau fertile de la marginalisation. Voyez-vous madame ce qu'ont été vos gouvernements successifs depuis une soixantaine d'années et auxquels vous avez largement contribué vous et votre famille, espérant récolter les dividendes de l'échec patent de la politique d'intégration d'une communauté laissée en marge du développement et du bien-être. Et ce n'est pas fini, encore une fois, c'est la France qui va fournir à ses enfants le catalyseur, en rendant active et violente une radicalisation qui se bornait jusque-là au repli sur soi. Renouant avec ses démons guerriers, mis en sourdine après la débâcle vietnamienne, la désillusion de Suez suite à l'ultimatum russe, et son expulsion d'Algérie, avec son lot de malheurs pour les pieds-noirs, la France, outrepassant la résolution onusienne portant autorisation de création d'une zone de couverture aérienne en Libye, va détruire ce pays, dans la perspective de le voir imploser en trois micro-Etats (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan). Un résultat relevant d'un travail de sous-traitance, appelé à faire jonction avec la politique du GMO américaine, à finalité israélienne. Toujours approximative dans ses analyses prospectives, faute de paramétrer toutes les situations possibles inhérentes à ses décisions politiques, la France, avec toute la compétence qui est la sienne, n'a pas vu que la destruction de la Libye, au-delà de la victoire immédiate sur un dictateur, allait créer un vaste couloir, incontrôlé et incontrôlable, pour le passage en Europe de milliers de migrants subsahariens et donner naissance, par son manque de vision stratégique, à un réseau de passeurs clandestins, de trafic d'êtres humains et de vente d'armes de l'arsenal militaire libyen, dont va se doter le terrorisme subsahélien, qui, désormais, lui coûte les onéreuses opérations Serval et Barkhan. Force est de croire que l'imprévoyance colle à la peau de la France, de droite comme de gauche, dans une parfaite continuité d'autisme politique et d'ignorance des leçons d'histoire. La hasardeuse aventure moyen-orientale, en Syrie, dans laquelle elle s'est laissée convaincre, lui réexpédie, dans un violent retour de manivelle, après une formation chez les fous de Dieu, structurés et armés par l'Occident, ses propres enfants, formés pourtant à l'école laïque. Métamorphosés en kamikazes, ils reviennent sur leur terre natale, pleins de ressentiment pour cette France raciste, impérialiste et prosioniste, pour se faire exploser ou tirer dans le tas sur leurs compatriotes, au nez et à la barbe des niveaux de sécurité et vigilance qui y sont décrétés. Une autre conséquence de son aventurisme syrien, non paramétrée par les va-t-en-guerre français, rappelle, par sa similitude et ses effets à long terme, le drame colonial algérien. Des milliers de déplacés syriens se sont rués sur l'Europe, redonnant d'ailleurs de l'énergie aux mouvements populistes, xénophobes et racistes d'extrême droite, qui sans nul doute sera l'un des thèmes majeurs de votre prochaine campagne, tant est que votre seul programme se concentre sur les malheurs des autres et des victimes collatérales de vos gouvernants. La France, à son corps défendant, récoltant la tempête du vent qu'elle a semé, s'est vue contrainte d'accepter son quota de réfugiés arabes. Et c'est là que l'histoire se répète. Rien n'indique que ce flux massif de femmes et d'hommes, appartenant à une civilisation plurimillénaire, différente, et dont la plupart projettent de s'établir dans leur nouveau pays d'accueil, sera traité avec plus d'intelligence et d'humanisme que ne le furent les Algériens et leurs familles, déracinés et ostracisés. Et que les Syriens et leur descendance seront respectés dans leurs racines civilisationnelles. Car les mêmes causes produiront invariablement les mêmes effets. Voyez-vous Madame Le Pen, si nos gouvernants n'ont été ni à la hauteur, ni en mesure de traduire le rêve des martyrs et de tous ceux qui se sont sacrifiés pour sortir des griffes de vos ancêtres, il reste néanmoins que le peuple algérien mène un combat pour la liberté, la dignité, la justice, sans pour autant oublier son passé, son histoire. Non, on ne demande pas que la France demande pardon au peuple algérien, mais nous militons pour qu'un jour il y ait réparation. Réparation pour tous les crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée coloniale, dont votre père a été l'exemple parfait de ce soldat de la terreur, de la torture et des liquidations abjectes et inhumaines. Réparation pour tous les essais atomiques, biochimiques et bactériens dans le sud du pays, avec leurs lots de morts, de malformés et de séquelles indélébiles. N'avez-vous pas honte de ce passé pour vous être offusquée d'une timide demande de pardon de nos autorités ?