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58 ans après sa mort, l'œuvre du poète est d'une brûlante actualité
"Jean El-Mouhoub Amrouche. Je suis un champ de bataille", de Réjane et Pierre Le Baut
Publié dans Liberté le 19 - 08 - 2020

Huit conférences de Jean El-Mouhoub Amrouche sont publiées par le couple de biographes Réjane et Pierre Le Baut aux éditions Frantz-Fanon. Des textes inédits qui donnent un nouveau regard sur "la bataille intime" que livrait l'écrivain.
Réjane et Pierre Le Baut ont collecté huit conférences inédites, titrées et datées du poète Jean El-Mouhoub Amrouche (1906-1962) qui n'avait pas attendu le 1er Novembre 1954 pour aller en guerre de libération. Sur ce point, la question algérienne a été dès 1941 au cœur de l'actualité sur les ondes de Radio Tunis, où Jean El-Mouhoub Amrouche "a posé les bases intellectuelles et historiques de l'inévitable et nécessaire libération du joug colonial dans ses conférences Orient et Occident qu'il a animées en France, en Italie, au Maroc et en Tunisie." Dans cette optique, Jean El-Mouhoub Amrouche le Berbère et d'obédience chrétienne s'en est allé, la mort dans l'âme, car tourmenté d'avoir été d'essence amazighe et l'esprit d'un français qu'il a appris à l'école de Jules Ferry (1832-1893). Et puisqu'on est dans le thème d'intégration, il y a aussi le piège de l'acculturation posé par le colon-braconneur : "En intégrant la culture d'autrui, on s'instruit dans la langue que l'on adopte et autour des mots que l'on s'approprie en butin. Et même si l'on garde notre liberté de penser, la franchise de nos pensées s'oriente vers des opinions contraires à nos points de vue." "Je représente donc à un degré de perfection l'indigène assimilé. Mais je ne suis pas, je ne suis plus, et depuis longtemps, partisan de l'assimilation", qu'il disait dans ses conférences le petit-fils de Aïni.
À ce propos, l'auteur de Cendres, poèmes (éditions Mirages 1934) a tant appris, d'abord auprès d'Histoire de ma vie (1968) de sa mère, Marguerite-Fadhma Aït Mansour (1882-1967) auprès de laquelle il a tété "Isfra" mais aussi les Chants berbères de Kabylie (1939). Et ce qui a trait à l'identité s'est révélé en ces termes : "Je représente le type achevé de l'Algérien francisé", car "Il se sait issus de deux mondes. Algérien francisé, indigène assimilé", a écrit la philosophe Seloua Luste Boulbina dans sa préface. Et pour qu'il échappe à l'image d'une bête de foire ou d'un "Africain singe européanisé, voire humanisé" "l'analphabétisme et l'illettrisme constituent un rempart anticolonial", écrit l'autrice du livre Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie (Parangon, 2008). Autrement dit, la civilisation universelle a des relents de pestilence colonialiste sur le "presqu'homme" dit Jean El-Mouhoub Amrouche. Autant dire qu'il était emmuré vivant : "La tragédie algérienne ne se joue pas, pour moi, sur une scène extérieure.
Le champ de bataille est en moi : nulle parcelle de mon esprit et de mon âme qui n'appartiennent à la fois aux deux camps qui s'entretuent. Je suis algérien. Je crois être français. Il m'est plus difficile et plus douloureux qu'à quiconque de prendre parti pour un camp contre l'autre camp." En clair, Jean El Mouhoub Amrouche rêvait d'une Algérie réconciliée, de Français et d'Algériens qui vivraient ensemble en bonne intelligence. Elu poète, le colonisé s'est hissé au rang de critique littéraire à la revue littéraire L'Arche qu'il a créée à Alger en 1944 avec l'aide du critique d'art Jacques Lassaigne sous l'égide de l'écrivain français André Gide. Une ascension fulgurante où il a côtoyé le poète dramaturge Paul Claudel, Nobel de littérature (1952) François Mauriac, le poète italien Giuseppe Ungaretti et l'écrivain français Jean Giono. "Jean Amrouche fut une valeur et un talent. Par-dessus tout, il était une âme. Il a été mon compagnon", a écrit le général de Gaulle à la veuve Suzanne Amrouche. L'œuvre publiée aux éditions Frantz-Fanon promet de mieux connaître le poète qui croyait en la France de l'évangile, à la devise : "Liberté, Egalité, Fraternité" et de l'égalité devant la loi ou égalité en droit.
Louhal Nourreddine
Jean El-Mouhoub Amrouche - Je suis un champ de bataille, de Réjane et Pierre Le Baut. Editions Frantz-Fanon 2020, 126 pages, 600 DA.


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