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Le déclassement...
la crise sanitaire a eu un effet Amplificateur sur la précarité sociale
Publié dans Liberté le 30 - 11 - 2020

Commerçants, agriculteurs, enseignants, chauffeurs de taxi... sont touchés de plein de fouet par la pandémie. Des témoignages recueillis à travers le pays et auprès des certaines catégories professionnelles donnent à voir combien la crise sanitaire, et ses conséquences économiques ont poussé des pans entiers de la population dans la précarité.
Au-delà de ses contrecoups sur la santé publique avec les milliers de morts et les dizaines de milliers de contaminés, le nouveau coronavirus a eu un impact social et psychologique notable sur de nombreux ménages algériens. Aucune catégorie sociale n'a quasiment été épargnée des effets d'une crise sanitaire aussi inédite que désastreuse. Fonctionnaires, enseignants, agriculteurs, journaliers et commerçants ont pâti de la pandémie.
Certaines activités étaient forcées à l'arrêt. Commes c'est le cas pour les taxieurs. Ils se sont retrouvés, du jour au lendemain, dans la précarité. Nombreux sont, aussi, les commerçants qui ont vu, depuis l'apparition de la pandémie, leurs chiffres d'affaires baisser au moins de moitié quand certains n'ont pas, tout bonnement, mis la clé sous le paillasson.
Même s'ils n'ont pas été trop impactés, ayant continué à percevoir leur salaire, les fonctionnaires ne sont pas en reste : ils vivent la peur au ventre d'une éventuelle contamination. Hantés par la peur d'une contamination et exposés au spectre d'une précarité rampante, des pans entiers de la population semblent vivre des moments très difficiles depuis huit mois.
À Sétif, cela fait huit mois que des centaines de taxieurs vivent dans la précarité. La pandémie de coronavirus et le confinement ont sérieusement malmené la profession. Debbacha Abdelhafidh, un chauffeur de taxi sétifien, quinquagénaire, père de quatre enfants, assurant la liaison entre Sétif et plusieurs wilayas de l'Est (Constantine, Annaba, Mila, Skikda, etc.), se retrouve, malgré lui, au chômage technique depuis que la crise sanitaire a imposé sa loi.
"On ne sait plus quoi faire. Nous ne voyons pas toujours le bout du tunnel !", se lamente-t-il. Et il n'est pas le seul à vivre un tel calvaire, car ils sont plus de quatre mille chauffeurs de taxi à exercer à Sétif, et dont la profession a, depuis le début de la pandémie, été la plus éprouvée par ce maudit virus.
Dès les premières alertes, le gouvernement avait décidé de suspendre les transports publics dont le transport par taxi. Une mesure de prévention anti-Covid-19 qui a affecté des centaines de ménages. "J'ai vingt-huit ans de service. Je n'ai jamais été aussi affecté que cette fois ci.
Je remercie Dieu et mon père qui m'aident à subsister", assure Abdelhafidh. Quid des aides annoncées par le gouvernement en faveur des taxieurs ? "De la poudre aux yeux", dit-il. Explications : "Savez-vous que depuis le début de la pandémie, je n'ai touché que 50 000 DA), à savoir 10 000 DA respectivement durant les mois de mars et avril et 30 000 DA durant le mois de novembre. C'est insuffisant.
On ne comprend pas pourquoi les décisions du gouvernement ne sont pas appliquées à la lettre." Et à Abdelhafidh d'énumérer toutes les charges dont il doit s'acquitter, en plus des impôts qu'il a toujours payés : "Outre le paiement de la licence, de l'assurance du véhicule et des cotisations à la Casnos estimées à 37 500 DA, ils nous ont demandé de payer le montant de 3 000 DA comme pénalité de retard de l'année en cours." "C'est absurde !", s'indigne-t-il, assurant avoir le "moral au plus bas".
Sa plus grande inquiétude est que la crise perdure et qu'elle mette davantage en difficulté sa situation sociale qui est déjà assez précaire.
Les professions libérales dégringolent
Comme lui, Mohamed Languer, un chauffeur de taxi urbain dans la capitale des Hauts-Plateaux, quinquagénaire et père de cinq enfants, dit avoir du mal à arrondir ses fins de mois. La reprise, depuis quelques semaines, est timide à cause des heures de confinement et des restrictions. Pis encore, l'interdiction de travailler les week-ends est, selon lui, incompréhensible.
"Au moment où nous sommes obligés de suspendre le travail les week-ends, les clandestins travaillent normalement et stationnent en plein centre-ville. Ils profitent pleinement de l'arrêt des transports publics, dont les bus, le tramway et les taxis", fulmine-t-il.
À l'instar des taxieurs, les agriculteurs sont, eux aussi, durement malmenés par la pandémie de Covid-19. Propriétaire de vastes exploitations agricoles, sises au nord du chef-lieu de wilaya de Biskra, Aziz Touati résume parfaitement le désarroi des fellahs d'une région supposée être le potager du pays.
"Directement tributaire du secteur des transports, l'agriculture est aujourd'hui figée. Tout est en stand-by. Quand le transport, routier surtout, est bloqué, rien ne peut bouger, et les conséquences sont fâcheuses pour les producteurs maraîchers qui rencontrent d'énormes difficultés de commercialisation de leurs récoltes surabondantes, à l'intérieur du pays comme à l'extérieur", explique-t-il.
"Depuis l'imposition du confinement, notre activité, qui était en plein essor pourtant, connaît ces derniers temps un recul. Les marchés locaux où l'on écoule nos produits vont, selon des informations, fermer pour cause de pandémie. Que ferons-nous à ce moment-là ?", s'interroge Aziz, non sans se plaindre aussi de la cherté, avec l'avènement de la Covid-19, des semences, des engrais et des pesticides qui sont des produits importés.
"Nous achetons les semences à des prix qui ne sont vraiment pas à la portée de tous les agriculteurs. Les 1 000 graines de tomate sont cédées aujourd'hui à 14 000 DA, contre 7 000 DA en 2018. Les prix de cette matière non moins indispensable sont plus élevés qu'avant la parution de la Covid-19.
Cette envolée des prix est provoquée par les restrictions imposées aux importateurs", explique-t-il, avant de s'exclamer : "Il est temps que ces mesures soient levées pour pouvoir préserver l'activité agricole." Et comme un malheur n'arrive jamais seul, les agriculteurs doivent aussi faire avec la chute des prix de vente des fruits et légumes.
"Il n'y a pas que les prix des dattes qui ont considérablement dégringolé. Faute de marchés et d'acquéreurs traditionnels, la tomate, le gingembre et la courgette sont cédés à 20 DA le kg", se lamente Aziz. Autre impact de la crise sanitaire sur le secteur agricole : beaucoup de producteurs sont contraints de réduire au minimum le nombre de travailleurs auxquels ils ne peuvent plus assurer le salaire. "J'ai mis fin aux services de 10 agriculteurs bénéficiant d'une prise en charge complète et payés à raison de 40 000 DA chacun.
Avec le recul d'activité, je ne suis plus en mesure de leur assurer leur salaire", regrette un des propriétaires de terres agricoles.S'ils avaient été autorisés à reprendre l'activité au lendemain du déconfinement partiel décidé par le gouvernement en juin dernier, les commerçants n'en continuent pas moins de tirer le diable par la queue, surtout avec les nouvelles mesures gouvernementales prises pour faire face à la nouvelle vague de coronavirus, en les contraignant à fermer boutique à 15h.
"Notre situation ? C'est tout simplement un cauchemar", lâche Malik, propriétaire d'un magasin spécialisé dans la vente de matériels électroménagers et d'ustensiles de cuisine au centre-ville de Tizi Ouzou.
"Ce retour à la fermeture à 15h a été un choc pour tous les commerçants concernés. L'activité commerciale est déjà des plus timides depuis le déconfinement, en juin dernier, et voilà qu'on revient quasiment à la case départ. C'est une décision d'autant plus incompréhensible que nous gérons de petits commerces qui n'enregistrent pas un important flux de clients et où les mesures barrières sont appliquées convenablement", maugrée ce commerçant, qui dit être sérieusement stressé par cette situation d'incertitude.
Pour d'autres commerçants, la situation est encore pire."Nous n'arrivons même plus à faire face à nos charges : je suis locataire donc j'ai des charges locatives ainsi que fiscales et parafiscales et d'autres encore. De surcroît, avec cette fermeture des commerces à 15h, la ville se vide plus tôt et les clients se font rares. Mon chiffre d'affaires est réduit de plus de 60%", se lamente Hamid qui gère un magasin de literie et de tissus sur le boulevard Amyoud, à la Nouvelle-Ville de Tizi Ouzou.
Même les gérants de cafétérias n'ont pas échappé à cette situation pour le moins insoutenable. "Nous ne sommes plus autorisés à travailler avec la salle ouverte. Tout doit être emporté ; ce qui limite notre activité à vendre du café, du thé et des tisanes. Pis encore, nous sommes contraints de fermer bien avant 15h pour procéder au nettoyage de notre café", déplore Yacine, employé au café "Les bleus", situé au centre-ville de Tizi Ouzou.
Pour lui, il n'est même plus question de parler de rentabilité. "Notre activité a baissé de 80% depuis l'annonce de ces mesures. Nous vivons une situation dramatique. À ce rythme, nous n'allons plus pouvoir faire face à la crise car, il faut savoir que nous avons des charges à payer, dont celles de la location", assène-t-il. Même son de cloche chez les restaurateurs dont la plupart ont, d'ailleurs, opté pour la fermeture pour, disent-ils, limiter les dépenses inutiles et ne pas travailler à perte.
"C'est toute notre activité qui va mal. Je suis contraint, une fois de plus, de réduire mon effectif. Cela me fait de la peine de renvoyer un serveur et le plongeur, mais cette décision ne dépend pas de ma volonté", s'apitoie le gérant d'un restaurant sis à la rue de la Paix, au centre-ville de Tizi Ouzou. Pour le coordinateur de wilaya de l'UGCAA, Samir Djebbar, "la fermeture de ces commerces ne fera qu'accentuer la situation dramatique que vivent ces commerçants et leurs employés depuis le printemps dernier".

K. TIGHILT/FAWZI SENOUSSAOUI/H. BAHAMMA


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