Liberté : Vous avez pris part récemment à une réunion au ministère délégué au Commerce extérieur dans le cadre de la préparation de la stratégie nationale des exportations hors hydrocarbures (EHH). Peut-on savoir quelles ont été les problématiques soulevées et les solutions proposées par votre association ? Ali-Bey Nasri : Nous avons mis l'accent sur la lancinante problématique de la réglementation des changes dont la rétrocession des devises, la dépénalisation de l'acte d'exportation, l'adaptation de I‘ordonnance 96-22 relative à la répression des fraudes et au flux de capitaux de et vers l'étranger au dispositif de I'ordonnance 96-06 relative à l'assurance-crédit à I'exportation, c'est-à-dire l'on ne peut parler de défaut de rapatriement de devises si la créance en question est garantie par un contrat d'assurance. Nous avons suggéré aussi l'annulation de certaines taxes sur les opérations d'importation de services, si le paiement est intervenu à partir d'un compte devises, ce qui amènera les opérateurs à recourir à leurs comptes devises au lieu de recourir aux réserves de changes. Nous avons également proposé la réduction ou la suppression de certaines charges fiscales liées aux opérations d'exportations... Comment les exportateurs vivent-ils la situation de crise dans laquelle se débat actuellement l'Algérie ? Plusieurs créneaux d'exportation sont à l'arrêt. De nombreux produits sont actuellement suspendus à l'export. C'est le cas des pâtes alimentaires et dérivés et les produits du terroir. Or, ces produits enregistrent une forte demande de la part de la communauté algérienne installée à l'étranger notamment à l'approche du mois de Ramadan tels que le fric, les diouls, le tliti..., dont la valeur ajoutée est considérable. La tonne de blé dur est évaluée à 300 dollars alors que l'exportation de ces produits peut atteindre les 3 000 dollars la tonne. On ne comprend pas l'utilité d'interdire l'exportation de ce type de produits très prisés outre-mer. Le secteur de l'électronique et de l'électroménager est également interdit d'exportation alors qu'il existe des capacités dormantes importantes. Ce sont autant de niches de rentrée de devises négligées par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la Zone de libre-échange africaine est une opportunité inouïe. Il faut aller à la conquête des pays africains pour investir sinon d'autres le feront à notre place. Le président de la République a fixé un objectif de 4 milliards de dollars d'exportations hors hydrocarbures à réaliser avant l'année 2022. Pensez-vous que cela peut être réalisable ? Impossible. Ce n'est pas réalisable avec les conditions actuelles et la réglementation des changes en vigueur. C'est l'épée de Damoclès qui pèse lourdement sur l'exportateur. Quelles sont selon vous les conditions nécessaires pour que l'Algérie améliore enfin ses performances à l'exportation ? Je tiens à souligner que certains écueils qui bloquaient jusque-là cette activité ont été levés aujourd'hui. L'on observe un changement de cap de la part des autorités depuis quelques années. En effet, le désintérêt affiché par les pouvoirs publics pour ce créneau durant de longues années a fini par disparaître. Aujourd'hui, le premier magistrat du pays parle d'exportations hors hydrocarbures. Il fixe même un objectif de 4 milliards de dollars à réaliser. Cela signifie que le président de la République va peser de tout son poids pour que l'ensemble des contraintes soient levées et que l'acte d'exporter se libère. Mieux, la situation socioéconomique qui prévaut actuellement dans notre pays, marquée par une récession, une dévaluation du dinar, des filières en cessation d'activités, une absence de débouchés..., constitue autant de paramètres qui ont créé au sein des entreprises algériennes un intérêt croissant pour l'export. À l'Etat, cependant, d'accompagner ces sociétés dans cette perspective et leur donner confiance à travers la réglementation des changes et de cesser de traiter l'exportateur de fraudeur en puissance. L'on constate une légère avancée de l'activité d'exportation ces dernières années. Qu'en est-il selon vous ? Oui, je partage cet avis. Mais je suis de ceux qui disent que l'augmentation des EHH en Algérie depuis 20 ans a été le fait des nouveaux investissements. Si l'on analyse le créneau à partir de l'année 2000, l'on constate que 82% des EHH sont le résultat de nouveaux investissements notamment des IDE. L'on peut citer l'exportation d'ammoniac et d'urée de la société Sofert, créée dans le cadre du partenariat Sonatrach Orascom et de l'entreprise Al Djazaïria Al-Omania Lil Asmida (AOA), qui lie Sonatrach aux Omanais. Le groupe Cevital demeure aussi un gros exportateur engrangeant plusieurs centaines de millions de dollars à l'export dans le secteur agroalimentaire. La Banque centrale, de son côté, a-t-elle affiché une volonté d'aider à libérer l'acte d'exporter ? Selon les informations dont nous disposons, la Banque d'Algérie ne veut en aucun cas revoir sa réglementation pour encourager les exportateurs. Pourtant, nous avons demandé des modifications simples dans la réglementation des changes. En tant que professionnels du secteur, nous affirmons que la réglementation en vigueur ne nous permet pas d'avancer puisqu'elle nous considère comme des opérateurs suspects. Il est inconcevable, voire anormal que la Banque d'Algérie menace de prison, à travers une ordonnance, un exportateur pour un défaut de rapatriement de mille dollars ! L'exportateur a besoin également de la présence de banques algériennes à l'étranger qui l'accompagneront au sein des pays cible. La diplomatie commerciale a, elle aussi, un rôle primordial à jouer en apportant assistance et conseils aux exportateurs. D'après votre analyse, l'activité d'exportation est actuellement à la croisée des chemins... ? Oui, exactement. Au président de la République de traduire sur le terrain, l'objectif des 4 milliards de dollars d'exportations hors hydrocarbures à réaliser avant l'année 2022. La relance des exportations dépendra de la mise en œuvre sur le terrain de cet objectif.