La violente répression des manifestations du 117e vendredi de mobilisation populaire et les arrestations qui les ont ponctuées interviennent quelques jours seulement après le communiqué menaçant du ministère de l'Intérieur. Les marches du Hirak sont-elles dans le viseur des autorités ? Alors qu'il semblait jusque-là tolérer les manifestations hebdomadaires du Hirak, le pouvoir montre désormais des signes d'agacement. Vendredi 14 mai, les habituels manifestants qui arpentaient les rues de la capitale et de nombreuses autres villes du pays ont fait face à un changement radical dans le comportement des forces de l'ordre. Des journalistes, des hommes politiques, des militants et de simples citoyens ont été molestés, bastonnés et interpellés. Les arrestations ont été massives, notamment dans la capitale. "Le pouvoir a désormais fait un saut qualitatif dans la répression", fait remarquer le sociologue Nacer Djabi qui rappelle que les arrestations deviennent anarchiques. "Nous ne sommes plus dans les arrestations qui visaient, par exemple, des journalistes connus pour leurs opinions ou écrits. Même les photographes n'ont pas été épargnés, ce qui prouve qu'il y a une intention d'arrêter de manière systématique", explique l'universitaire. En effet, dans le lot des arrestations relevées vendredi, on trouve de tout : des journalistes, des leaders politiques, mais également des enseignants universitaires. De prime abord, des observateurs estiment que le but de ces arrestations est de "tuer le Hirak". Pour l'avocat et militant du Hirak, Smaïl Maaraf, ce qui s'est passé est le signe d'un "pouvoir agonisant". Pour lui, cette recrudescence de la violence policière est un signe de panique "devant une situation qui fait que les Algériens ont cassé le mur de la peur". "Le pouvoir a tenté de diviser à travers l'utilisation de la carte régionaliste, puis idéologique. Cela n'a pas marché. Désormais, il compte sur la répression pour tenter d'étouffer le mouvement populaire. Mais cela ne marchera pas non plus", ajoutera Maaraf qui rappelle que le pouvoir a "le soutien des puissances étrangères" dans sa démarche qui vise à "empêcher l'émergence d'un pouvoir patriotique en Algérie". Mais cette thèse qui fait de l'étouffement du mouvement populaire comme principal objectif du pouvoir n'est pas la seule qui motiverait les autorités. Pour l'universitaire Nacer Djabi, ce regain de la violence de la part du pouvoir peut s'expliquer par une lutte dans le sérail politique. "Il y a visiblement une volonté de pourrissement", tranche le sociologue, qui participe régulièrement à des manifestations populaires. Ce changement dans le comportement du pouvoir, qui tranche avec les affirmations du chef de l'Etat qui a assuré que le Hirak ne le dérangeait pas, "n'est pas sain" et est "synonyme de décisions, de changements rapides" opérés dans les hautes sphères du pouvoir ces derniers temps. "S'agit-il d'un règlement de compte au sein du pouvoir ?", s'interroge encore l'universitaire. En plus de la colère qu'elle soulève, cette vague de répression comporte "des risques de dérapage", analyse Nacer Djabi. Cet affrontement entre la rue et les forces de sécurité "risque de produire quelque chose de mauvais", dit-il. " Je me demande qui est le responsable qui a pris cette décision ? A-t-il pensé aux conséquences ?", s'interroge l'universitaire. Pour lui, il y a "risque d'embrasement général", s'inquiète l'universitaire qui craint de "graves conséquences" sur la stabilité du pays avec la possibilité de voir apparaître "de nouvelles formes de révolte que personne ne peut contrôler". Pourtant, "le pouvoir a plus à gagner avec des manifestations pacifiques", a-t-il insisté. Dans ce ciel politique algérien sombre, de nouveaux scénarios apparaissent. Nacer Djabi et Smaïl Maaraf convergent vers un possible changement dans l'agenda politique du pouvoir.