Par : Dr MOHAMED MAIZ UNIVERSITAIRE " Rien ne sera possible sans une réforme prioritaire de la gouvernance, en tant que redéfinition, consensuelle et conforme aux normes universelles de la démocratie, de la nature du système à mettre en place." La crise politique actuelle, la déliquescence de l'Etat et des mœurs politiques et la faillite économique sont les conséquences, directes, de la dégénérescence d'un système, taillé sur mesure, aux dimensions de l'appétit de pouvoir des putschistes du clan d'Oujda. Un système issu des rivalités qui ont éclaté à l'indépendance et des atavismes d'un mode de gouvernance centré sur la centralité de l'armée, l'autoritarisme, la fraude électorale et la répression. Inhérents à la nature du système, aux conditions de son émergence et de sa reproduction, l'impact nocif et bloquant de ces lourds fléaux n'autorise aucune perspective d'évolution rassurante. D'où l'impératif d'un changement radical, tant il est vrai que le socle politico-institutionnel du système, ainsi que ses mécanismes de fonctionnement, sous le vernis du multipartisme, d'une conception de la gouvernance renvoie, par plusieurs aspects, aux caractéristiques, autocratiques, des régimes de démocratie populaire. Avec l'honnêteté et l'abnégation en moins. Quelque 60 ans de gestion, sous ce régime, ont conduit le pays au bord de l'effondrement. Dès lors, le maintien de ce système par le recours au passage en force pour contourner le rejet unanime par le peuple et contrer son abstentionnisme électoral massif revient à acter la mort de tout espoir d'extirpation du cycle, récurrent, des crises politiques, de l'instabilité sociale et de la stagnation dans le sous-développement. Rien ne sera possible sans une réforme prioritaire de la gouvernance, en tant que redéfinition, consensuelle et conforme aux normes universelles de la démocratie, de la nature du système à mettre en place. Etant entendu que cette revendication n'est pas un luxe pour rêveurs déconnectés de la réalité nationale, mais du seul moyen pour qui persiste l'espoir de voir, un jour, disparaître le désordre et la navigation à vue. La résilience des régimes, impopulaires, et leur gestion répressive de la demande démocratique du peuple expliquent, pour beaucoup, la violence des ruptures. Innovant par rapport à cette donnée, le pacifisme et le civisme dont a fait preuve l'élan citoyen sont le témoignage d'une sage résolution, refusant la confrontation des antagonismes. L'option populaire dominante a proposé la voie d'une transition responsable de nature à permettre l'éclosion d'une philosophie politique privilégiant le progrès démocratique, la transparence gouvernementale, la valorisation du statut de citoyen, la justice sociale et la suprématie de la loi. Force est de constater que l'urgence, vitale, de sortir du piège des méfiances, réciproques, des suspicions gratuites, de traîtrise, des quiproquos et des manœuvres politiciennes n'a pas été évaluée, à son juste niveau de dangerosité, par le pouvoir. Obnubilés par la survie du système, transmis comme un butin de guerre entre les pouvoirs successifs, les centres de décision qui veillent à sa pérennité se révèlent dans leur dommageable inaptitude à admettre, dans l'intérêt national, bien compris, la fin d'un mode de gouvernance qui a produit l'échec. Ignorant les appels à mesurer le péril, induit par la prolongation de la durée de vie d'un système, défaillant, dans sa mission de construction nationale, les décideurs, droits dans leurs bottes, foncent, au pas cadencé, dans leur objectif de parachèvement d'un processus de renouvellement des institutions qui reconduit, après un ravalement de façade, et à l'identique, les mêmes fondamentaux, conceptuels et fonctionnels, qui ont conduit à la dérive. Ainsi, pendant que les compétences qui refusent de cautionner ce processus s'automarginalisent ou s'exilent pour se démarquer du désastre, cette navigation à vue a fait de la fonction ministérielle un stage de formation à la politique et à la gestion des affaires de l'Etat. Et réduit le quinquennat parlementaire à un premier cycle d'une école fondamentale d'initiation aux rudiments juridiques. Arrivé à son terme, et devant la nécessité vitale à son maintien de renouveler son personnel politique, le système se trouve, désormais, être confronté à un effet pervers qui est celui de son incapacité à endiguer l'ampleur de la spirale de la médiocrisation, rampante, des fonctions institutionnelles, exécutives et électives. Sidérant est, en effet, le navrant spectacle d'une magistrature suprême convoitée par des candidats sans aucun background dans la gestion des hautes affaires nationales. Désolante est la tournure prise par les nominations ministérielles de 48h et d'un binational qui préfère garder la nationalité de son pays d'accueil au lieu de servir son pays d'origine. Que dire de cette ruée vers la députation ou l'on dit sa fierté de proposer des "fraises sélectionnées", où l'on présente des candidates fantômes ou autres néophytes en matière juridique qui s'apprêtent à légiférer sur des orientations politiques, complexes, qui dépassent par leurs répercussions, nationales et à l'international, la primauté de leur niveau d'entendement aux plans technico-juridique et géostratégique ! Avec le boycott des élections législatives par le courant démocratique et dont on fait peu cas en l'absence d'un seuil d'invalidité, la configuration de la prochaine APN va se réduire à la mouvance dite nationaliste, aux formations islamistes, connues par leur traditionnelle prédisposition à l'entrisme, et à cette génération de parlementaires, étiquetés "indépendants", sans ancrage politique avoué, inexpérimentée à souhait et appelée à constituer la future base sociale de l'instance présidentielle. Les attendus situent l'imminente mandature législative dans une inéluctable continuité dans l'inféodation au système et aux mécanismes des alliances présidentielles, imposées et acquises à la cause du pouvoir. Des données qui rivent l'APN dans ses limites classiques de chambre d'enregistrement. On imagine mal le système, focalisé qu'il est sur la problématique de sa survie, se trucider en se délestant d'un levier décisionnel de cette importance. La généreuse ambition de prétendre le réformer de l'intérieur risque de conduire à une désillusion qui n'a d'égale que la probable sincérité qui la sous-tend. La feuille de route mise en œuvre par le système débouche, en fin de compte, sur l'installation d'une assemblée à dominante islamiste dans un remake du scénario interrompu des législatives de 1991. Les islamistes ont, de ce point de vue, réussi à organiser le second tour avorté en 1992 ! La scène politique note la facilité du système à développer des relations de concessions mutuelles avec les courants islamistes et à rejeter le bloc démocratique représentatif d'une partie importante de l'opinion nationale au motif qu'il est porteur d'une vision, conceptuelle de l'avenir démocratique qui n'agrée pas les décideurs. Au vu de la répression, inouïe, qui s'abat sur les opposants politiques au processus en cours, il est clair que le système, désormais en position de force, suite à la démassification du mouvement citoyen, n'entend rien changer à sa démarche à la hussarde. Le passage en force n'a jamais eu vocation à être constructif. L'effort se devait, au contraire, de porter sur la nécessité de dépasser les antagonismes et de s'extraire des immobilismes. Aux lieu et place de l'injonction et de la violence étatique, il s'agissait, en la matière, de tendre vers un minimum de convergences autour d'une démarche de concessions réciproques. Pour sortir de l'engrenage mortel et du cercle vicieux du tourner-en-rond auquel mènera fatalement la négation de la volonté populaire, l'approche devait considérer, si les intentions avaient été bonnes et honnêtes, en la prise en charge de la demande de transition selon un processus et des mécanismes agréés par le peuple, sous la supervision de l'armée, laquelle en serait sortie rassurée quant à ses préoccupations de stabilité et de sécurité nationales. Alors que le peuple, uni en mouvement revendicatif, citoyen, espérait un aboutissement consensuel constructif, le pouvoir a fait le choix de la gradation répressive qui conduit à l'élargissement de la fracture sociale et qui pousse à la poursuite de la lutte citoyenne, dès lors qu'il a été unilatéralement décidé d'instaurer une démocratie made "in bladi", sans l'implication du pole démocratique. Vers quelle rive dérive le bateau ivre ?